Je suis ouvertement lesbienne, mais je suis mitigée concernant la Journée du coming out. Faire son coming out, c’est sortir du silence, silence derrière lequel se cache probablement une peur.
Cette peur s’ancre dans la cishétéronormativité, c’est-à-dire que tout individu est présumé hétérosexuel et cisgenre. Ainsi, les personnes queer peuvent vite se sentir anormales, exclues, indignes d’amour. Et comme le besoin d’appartenance est universel, se cacher permet d’éviter le rejet.
Parfois, garder le silence est une question de survie.
Le privilège d’être out
Nous associons souvent coming out et courage. Dans nos communautés queer, nous avons tendance à glorifier le coming out et à nous encourager mutuellement à le faire. Mais pour certaines personnes, sortir du placard signifie se mettre en danger.
Je peux rendre visite à ma famille avec ma partenaire, mentionner mon travail pour la communauté queer sur mon CV ou me présenter comme lesbienne sur les réseaux sociaux… Je me sens globalement en sécurité. Être ouvertement lesbienne est plutôt safe pour moi.
C’est différent pour mon amie Mariam. Elle se cache de sa famille depuis qu’elle a fait son coming out lesbien, car elle est en danger. Elle vit dans l’angoisse permanente que sa famille ne découvre son lieu de résidence. Et ça se passe outre-Rhin.
Lorsque nous célébrons la visibilité queer, rappelons-nous qu’être out est un privilège. Évitons à tout prix le shaming des personnes secrètement queer et l’injonction à sortir du silence. Le coming out est une décision personnelle, et le choix de ne pas le faire est tout à fait valide.
Sortir du placard est une histoire sans fin
Dans mon entreprise, nous, les personnes queer, avons été invitées à raconter « notre coming out » le 11 octobre dernier. En vérité, il n’y a pas un seul coming out, mais des coming out à répétition. On peut être ouvertement queer dans ses amitiés, mais pas dans sa famille ; dans sa famille, mais pas au travail.
Chaque personne qui nous suppose hétéro et cisgenre crée une situation de coming out. La présomption cishétéronormative nous oblige à sortir du placard, à mentir ou à éviter la question. Faire son coming out est donc une histoire sans fin.
Pour ma participation à la Journée du coming out organisée dans mon entreprise, j’ai décidé de sensibiliser mes collègues au fait que personne ne fait jamais un seul coming out. Je me suis remémorée mes premiers coming out, il y a plus de vingt ans.
La visibilité queer est une nécessité
J’ai repensé à mon « coming in », ou coming out auprès de moi-même, quand j’avais quatorze ans et que je me suis autorisée à sortir avec ma première petite amie.
En préparant l’événement de mon entreprise, j’ai revécu mon coming out auprès de ma mère, de mes frères et de mon père. Je me suis souvenue combien la présomption hétérosexuelle me pesait au travail. Mais au lieu de raconter mes innombrables coming out, j’ai choisi d’expliquer l’importance de la visibilité queer.
Dire que nos existences ne regardent personne est un mensonge. L’intime est politique. Nos vies queer sont hautement politiques. Et notre visibilité compte, car ce qui est invisible n’existe pas pour les autres et fait l’objet d’une discrimination silencieuse.
La présomption cishétéronormative nous enferme
Aujourd’hui, je suis ouvertement lesbienne et je ne veux plus jamais me cacher. Mes proches sont des personnes queer ou alliées, ma famille accueille ma partenaire à bras ouvert, mon père dit qu’il ne me voit vraiment pas avec un homme.
Je m’affiche fièrement partout, mais la présomption hétérosexuelle continue de me remettre au placard malgré moi. Je ne suis plus la jeune lesbienne pétrie d’homophobie intériorisée que j’étais, mais je continue de me retrouver en situation de coming out chaque fois qu’une personne me présume hétérosexuelle. Et ça m’exaspère.
S’allier pour un monde sans coming out
Que vous soyez queer ou non, soyez sensible. Ne supposez pas que la personne que vous rencontrez est hétérosexuelle ou cisgenre. Si vous évoquez vos partenaires, dégenrez votre langage plutôt que de supposer qu’elle aime les hommes ou les femmes.
Ne présumez pas que cette personne est un homme ou une femme. Partagez vos pronoms pour qu’elle se sente en sécurité et demandez-lui comment elle souhaite que vous vous adressiez à elle.
Cessez de nous forcer à faire des coming out.
Construisons un monde sans coming out, où nous n’avons plus peur d’être qui nous sommes et d’aimer qui nous aimons. Ne perdons plus de temps, car il y a urgence.
Élie Chevillet est une militante lesbienne et écrivaine de chroniques queer féministes. Suivez Élie sur Instagram.
Cette tribune a été initialement publiée dans le numéro 113 de Jeanne Magazine.
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