Aux premiers signes de canicule, j’ai passé quelques jours dans ma partie favorite du monde : le Gouinistan. Plus précisément, dans une province de l’État Gouin proclamée il y a deux ans, celle de la haute charge hormonale.
Les six meufs réparties en trois couples autour de moi sont toutes engagées dans le vaste projet de faire famille. Famille qui mettra un gros seum à Thaïs d’Escufon. Toutes les méthodes pour y parvenir sont bonnes. Du côté de Shane et Carmen (ah bon, c’est pas leurs vrais prénoms ?) c’est l’option Procréation Médicalement Assistée (PMA, tu connais) “standard” qui a été choisie. Pour Alice et Dana on complique un peu le sujet puisque c’est l’ovocyte de Dana qui sera porté par Alice le tout shaké au préalable avec le sperme d’un donneur connu et même ami. Enfin, chez Bette et Tina (my favorite) on fait dans l’artisanat underground : pipette de Doliprane + mise à contribution d’un donneur qualifié de “connaissance”. Quand, au son des cigales de ma Provence, je les écoute raconter leurs parcours autour de bières sans alcool (on ne sait jamais, si la graine avait germé), j’entends leurs espoirs, leurs craintes, leurs galères. Leur longue attente soumise aux desiderata de la bien pensance législative. J’entends l’intime devenir politique. Petit état des lieux de la situation. Extrait de l’article publié dans le numéro 110 de Jeanne Magazine.

Une nouvelle loi bioéthique

En préambule, en mémoire de ses faits d’armes de 2013, notons la petite tentative de la Manif pour tous de renaître de ses cendres et entraver la marche en avant de la loi. Malheureusement, les petits sweatshirts roses et bleus n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes et n’ont réussi qu’à s’embarrasser. Pauvres choses fragiles.

C’est sans grande vague homophobe, sans Civitas et par conséquent dans un calme relatif que le 3 août 2021, le Journal Officiel, JO pour les intimes, publie la loi bioéthique promulguée la veille avec une entrée en vigueur prévue le 29 septembre de la même année.
Le texte élargit la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. Trois techniques possibles : insémination artificielle, fécondation in vitro (FIV) ou accueil d’embryon.
En supprimant le critère d’infertilité, les couples de femmes et les femmes seules accèdent à la PMA ainsi qu’à son remboursement par la Sécurité Sociale dans la limite de 6 inséminations et 4 FIV. Point de crispation qui avait mis nos sénateurs en sueur.
Pour l’enfant à naître, la bonne nouvelle est triple :
1. Le droit d’accès aux origines. Depuis le 1er septembre 2022, tout donneur de gamètes doit consentir à la communication de “données non identifiantes” (âge, caractéristiques physiques, situation familiale, etc.) ou à son identité. Il appartient à l’enfant à sa majorité de savoir ou non quel Jean-Mich est à l’origine du don.
2. L’évolution de la reconnaissance de la filiation. Avant insémination ou transfert d’embryon, les couples de femmes doivent établir une reconnaissance conjointe anticipée de l’enfant devant notaire. La filiation établie a la même portée et les mêmes effets qu’une filiation par le “sang” ou la filiation adoptive. Bye-bye l’enfer de l’adoption a posteriori et le lot d’angoisses qu’elle véhicule.
3. Et c’est de loin la meilleure des nouvelles, l’enfant sera élevé uniquement par des femmes et pourra donc prétendre à devenir un être supérieur. Un monde meilleur s’ouvre à nous.

Tant qu’à y être, le législateur a aussi distribué d’autres petits cadeaux. Il devient ainsi possible de faire congeler ses gamètes sans motif médical et uniquement pour son bon plaisir, supprimant au passage le recueil du consentement du conjoint du donneur. Vous aussi vous entendez le tic-tic de l’horloge biologique reculer ?
En bonus, la correction d’une aberration totale : la loi assouplit les critères de sélection pour le don du sang pour éviter toute forme de discrimination fondée sur le sexe ou la nature des relations sexuelles. Yes, les pédés peuvent baiser et donner leur sang. Mazeltov les frères.

Conformément aux craintes du sénateur Les Républicains Guillaume Chevrollier, la promulgation de la loi a-t-elle donné lieu à la naissance d’une vague d’enfants privés de père ? Des milliers de nourrissons foutent-ils d’ores et déjà le feu au triptyque Papa/Maman/Enfant utilisant leurs couches (lavables, obviously) comme des torches ? Achète-t-on du sperme et des utérus sur le darkweb, alimentant ainsi la terreur de la marchandisation des corps ?

Spoiler alert : non.

Où en sommes-nous ?

Le premier bébé “PMA pour toutes”, Zola, est né le 27 août 2022 au CHU de Nantes et soufflera bientôt sa première bougie. Les deux mères de l’enfant sont passées par 6 échecs successifs en Espagne avant de se voir autoriser un suivi en France. La France, pays des lumières quand ça l’arrange.
Un bébé au bout d’un an. Bilan modéré.
Bien sûr, il a fallu mettre en place le système : consultations, stimulations, fécondations et évidemment les 9 mois de gestation. Même avec Amazon Prime, les délais sont incompressibles. Puis qui voudrait se faire livrer son enfant par Jeff Bezos ?
À la demande du Ministère de la santé, le comité national de suivi de l’agence de biomédecine se réunit plusieurs fois par an avec l’ensemble des parties prenantes afin d’évaluer les évolutions de la mise en place de la loi ouvrant la PMA à toutes les femmes. Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, un cinquième rapport a été publié.

Attention, vague de chiffres non exhaustifs.
En 2022 :

  • 764 candidats au don de spermatozoïdes ont été recensés. C’est 141% de plus qu’en 2019. Je ne le dis pas souvent mais, good job les gars.
  • 15 100 demandes de premières consultations ont été enregistrées en vue d’une PMA avec don de spermatozoïdes et 11 800 premières consultations ont été réalisées.
  • Depuis l’entrée en vigueur de la loi, près de 2000 tentatives ont été réalisées au bénéfice des couples de femmes (47%) ou de femmes seules (53%).
  • Le délai d’attente est estimé à 14,4 mois en moyenne au niveau national. 14,4 mois, j’insiste.
  • Au 31 décembre 2022, on recense 444 grossesses évolutives (soit plus de 12 semaines d’aménorrhée) et 21 accouchements. 21 mois, là encore, j’insiste.
  • Du côté des dons d’ovocytes, 990 candidates au don ont été enregistrées. C’est 226 de plus que pour le don de spermatozoïdes alors que le processus du don d’ovocytes est un chemin de croix. Je retire mon “good job les gars”, ça n’aura pas duré longtemps.
  • Enfin, pour rester du côté des ovocytes, 11 500 femmes ont fait une demande de première consultation pour l’autoconservation.

Ces chiffres me dépriment. À se demander si la PMA est vraiment pour toutes.

Les freins à la PMA

L’ouverture de la PMA pour toutes les femmes est sans conteste une évolution majeure, nécessaire, égalitariste. Rien ne doit entraver cette marche en avant. Mais même si on marche, on marche douuuucement, en mode pas de fourmi. Il y a encore pléthore de freins avant que les rainbows babies ne viennent envahir les crèches de nos campagnes.

(…)

Par Roxelane James

L’intégralité de l’article est disponible dans le numéro 110 de Jeanne Magazine.

Envie de soutenir Jeanne ?

  • Vous souhaitez faire le plein d’initiatives lesbiennes dont on ne parle nulle part ailleurs ? Rencontres, témoignages, découvertes culturelles, actualités et encore agenda sont au rendez-vous tous les mois dans le magazine. Et Jeanne, c’est aujourd’hui plus qu’un magazine. C’est une communauté tout entière avec l’espace privé en ligne Chez Jeanne.
    Abonnez-vous à Jeanne, rejoignez la communauté et faites le plein d’amour lesbien !