Violette and Co, le retour d’un espace iconique pour les féminismes et les identités LGBTQ+

La scène littéraire parisienne s’apprête à accueillir avec un enthousiasme vibrant la réouverture imminente de la librairie emblématique Violette and Co, dans le 11è arrondissement de la capitale. Dans un entretien avec l’équipe à l’origine de cette renaissance, nous plongeons au cœur des étapes clés et des défis surmontés pour donner vie à ce rêve. Loïse, Olivia et Lucile, les forces motrices derrière cette initiative, partagent leurs joies, leurs luttes administratives, et leur conviction de l’importance de Violette and Co dans le paysage actuel. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 110 de Jeanne Magazine.

Tout d’abord, félicitations pour cette incroyable réussite dans la réouverture très prochaine de la librairie Violette and Co ! Quelles ont été les étapes les plus marquantes et les plus difficiles de ce projet de reprise ? Merci beaucoup ! Nous sommes heureuses, soulagées et impatientes de pouvoir réouvrir Violette and Co à la rentrée dans le 11è arrondissement de Paris. Il y a eu beaucoup d’étapes marquantes dans ce projet de reprise. La plus récente est probablement la signature du bail, le 31 juillet, et la réception des clefs du local, le 1er août. C’était un très beau moment, que nous attendions depuis longtemps. Nous étions positionnées sur ce local de la Semaest depuis octobre 2022. Nous pensions avoir une réponse en octobre 2022, puis elle a été décalée à décembre, janvier, février, mars… Nous l’avons finalement eue en juillet 2023. Ça a été dix mois très difficiles. Le 52 rue Jean-Pierre Timbaud était le seul local des bailleurs sociaux de la ville de Paris qui rentrait dans nos critères mais nous n’avions aucune certitude de l’avoir. Et nous n’avions pas les moyens de passer par le privé à cause des prix prohibitifs des pas-de-porte à Paris, à moins de nous endetter et de prendre le risque de mettre la clef sous la porte dans quelques années. Après la rapidité et le succès du financement participatif, le contraste a été rude. Mais notre ténacité a fini par payer.

En parallèle, nous avons aussi rencontré des difficultés administratives. Une des particularités de Violette and Co saison 2 c’est qu’elle réouvre sous forme de société coopérative (SCOP), sauf qu’au 1er janvier 2023 toute la procédure pour créer une entreprise a complètement changé et la réforme a oublié de prendre en compte les SCOP, ce qui a mené à de très nombreux blocages et retard administratifs, dont nous ne sommes pas encore complètement sorties.

Le nouvel espace de plus de 145m2 réparti sur deux niveaux constitue une opportunité remarquable pour offrir une grande variété d’activités et de contenus. Comment envisagez-vous d’utiliser cet espace ? Ne pouvant pas conserver le local du 102 rue de Charonne, il était très important pour nous de rester dans le 11è arrondissement et de réouvrir Violette and Co dans un local agréable, lumineux, central, accessible et plus grand que le précédent, afin d’avoir assez d’espace pour les rencontres, l’espace café et surtout pour les livres féministes, lesbiens et LGBTQIA+, dont la publication a explosé ces dernières années. Le rez-de-chaussée sera donc partagé entre l’espace café (une quinzaine de places assises en journée, et une trentaine le soir, pour les rencontres) et les rayons littérature, sciences humaines, théâtre, poésie, BD, jeunesse et pratique de la librairie. Au sous-sol, on trouvera les beaux-arts, une extension de l’espace café et un espace associatif, pensé pour accueillir des événements plus intimes, comme des clubs de lecture, des ateliers d’écriture, des ateliers d’arpentage, des ateliers zine, etc. Nous connaissons bien la difficulté de trouver des lieux à Paris pour se réunir en tant que lesbiennes, féministes et personnes queer, c’est pourquoi cet espace sera également mis à disposition d’associations et de collectifs pour des réunions et/ou des permanences.

La fermeture de la librairie en 2022 a été une perte pour la communauté féministe et lesbienne. Et depuis d’autres librairies féministes et LBT ont malheureusement dû baisser le rideau. Comment votre collectif a-t-il réussi à garder l’esprit de Violette and Co tout en apportant de nouvelles idées et perspectives pour l’avenir ? Oui, nous avons été très attristées par la fermeture de la librairie féministe et lesbienne toulousaine au Bonheur des Dames par exemple. Les librairies indépendantes ont un modèle financier fragile, surtout dans les grandes villes, parce que les marges sur les livres sont assez faibles et les loyers souvent élevés. Il y a aussi qu’une grande partie des revenus des librairies proviennent des ventes des best-sellers et des prix littéraires, qui ne sont pas nécessairement les livres que les librairies LBT souhaitent mettre en avant. Ça va être tout notre enjeu de réussir à perdurer dans ce contexte. Violette and Co est restée ouverte pendant dix-huit ans, on veut qu’elle dure au moins dix-huit années de plus.

Quand nous avons présenté le projet de reprise à Catherine Florian et Christine Lemoine (les fondatrices de la librairie), nous leur avons vraiment montré que nous souhaitions nous inscrire dans la continuité de ce qu’elles avaient fait depuis 2004, c’est-à-dire proposer un catalogue quasi exhaustif des livres publiés en français sur les questions féministes, lesbiennes et LGBTQIA+. On aura tout autant de la romance que de la SF, de la littérature expérimentale, des livres de vulgarisation comme des essais pointus et des revues universitaires. Pour ce qui est des nouvelles idées, on va considérablement augmenter les rayons BD, manga et jeunesse. On espère aussi avoir une sélection de livres en anglais et en espagnol.

L’ajout de l’espace café est un aspect nouveau et important de notre projet de reprise, nous souhaitons que Violette and Co soit identifiée comme un lieu de vie et de passage, un lieu où l’on pourra trouver des ressources sur nos questionnements, sur les luttes féministes, lesbiennes, queer, antiraciste, écologiste, antivalidiste, ou l’on pourra s’asseoir pour feuilleter des livres, mais également où l’on pourra siroter des bons cafés, thés, infusions, boissons froides et snack sucrés seul·e ou avec des ami·es.
Réouvrir sous forme de SCOP c’est également faire des salarié·es de la librairie les principaux·ales décisionnaires et c’est s’assurer que les décisions ne sont pas prises selon l’investissement qui a été fait par chacun·e mais suivant la logique : une personne = une voix. C’est le système le plus égalitaire que nous avons trouvé et qui fait sens avec le projet de réouverture de Violette and Co.

Dans le contexte politique et sociétal actuel, quel rôle pensez-vous que les librairies féministes et lesbiennes devraient jouer pour promouvoir l’égalité et la diversité ? Nous évoluons dans un contexte politique et sociétal de plus en plus tendu, notamment pour les personnes LGBTQIA+, avec les personnes trans au premier rang, les femmes et les personnes racisées. Nous avons plus que jamais besoin de faire front, de nous organiser, et nous sommes intimement persuadées que pour cela nous avons besoin de connaître notre passé, de nous appuyer sur les leçons des théoricien·nes, des activistes et de l’histoire des luttes féministes, LGBTQIA+, antiracistes et des luttes sociales. Nous avons besoin de lieux pour comprendre le contexte actuel, pour réfléchir ensemble, pour se rencontrer et s’organiser. Nous avons également besoin de lieux de soin, de care, des refuges où l’on est protégé·e de l’agression extérieure, où l’on baisse la garde et où l’on peut trouver des récits pour s’évader, pour rêver, des livres aussi, tout simplement, où l’on découvre des personnages et des histoires qui nous ressemblent. On espère aussi que Violette and Co sera un lieu où les personnes non-concernées par ces sujets mais qui se posent des questions viendront chercher des réponses plutôt que se tourner vers les fakes news ou les théories du complot. Voici le rôle d’une librairie féministe et lesbienne selon nous, et surtout le rôle que nous imaginons être celui de Violette and Co : un lieu qui fait circuler les discours féministes, LGBTQIA+, antiracistes, écologiques et antivalidistes, qui permet de se trouver, de répondre à nos questions, d’en créer d’autres, de prendre soin de soi, de s’organiser.

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L’intégralité de la rencontre est disponible dans le numéro 110 de Jeanne Magazine.