Longtemps condamnées à la marginalité et à la discrétion, les lesbiennes ont développé au fil du temps des signes de reconnaissance – cheveux courts, mousqueton, chemises en flanelle, etc. – qui portent encore aujourd’hui une dimension libératrice. Extrait de l’article publié dans le numéro 105 de Jeanne Magazine.
Mardi 7 février, 12h30, à Paris. À peine attablée dans un restaurant thaï de Belleville où elle retrouve son amie Laura, Joséphine sort de son portefeuille sa carte d’identité. Elle la dépose devant elle et l’observe sans trop s’attarder, comme une réminiscence du passé. « Toi tu la connais déjà », lance-t-elle à Laura en riant. Mais en général, les gens sont assez surpris de voir à quel point j’ai changé ». Sur la photo, une jeune femme tout juste entrée dans la vingtaine, cheveux longs et maquillage soigné, fixe l’objectif. Aujourd’hui, la jeune femme de 26 ans a les cheveux courts, ne porte plus de maquillage, et ne jure que par les pulls larges, dans un style oscillant, selon ses mots, « entre le neutre et le masc ».
Si l’apparence de Joséphine a évolué par étapes au cours de sa vingtaine, le plus gros déclic s’est produit il y a deux ans, après sa première histoire avec une femme. « J’avais besoin de faire transparaître ce que je vivais en moi », confie-t-elle. Depuis, exit les codes féminins et hétéronormés qu’elle avait intégrés pour plaire aux hommes : les robes et jupes qu’elle avait l’habitude de porter ont été remisées au grenier. « Dans ma garde-robe actuelle, je n’ai quasiment plus rien de ce que j’avais il y a deux ans », constate-t-elle.
Chaque parcours lesbien est unique. Pour autant, il n’est pas rare que le coming out s’accompagne d’une volonté de se présenter aux autres différemment, en s’inspirant plus ou moins consciemment de certains modèles. « Il y a des figures « type » du lesbianisme qui impliquent une forme de codification vestimentaire, explique Nelly Quemener, professeur en sciences de l’information et de la communication au CELSA. La lesbienne butch – la camionneuse comme on dirait en France – se distingue par exemple par une corporalité présentée comme masculine, avec les cheveux courts et la chemise de bucheronne. On est dans des stéréotypes qui peuvent avoir des formes de pratiques concrètes. » Mousqueton, bague au pouce, chemise de flanelle, Doc Martens deviennent alors autant d’indices qui peuvent affoler le gaydar.
Outil de reconnaissance
Ces « codes lesbiens », vestimentaires ou esthétiques, s’inscrivent dans une histoire de la marge. Au début du 20è siècle, alors que l’homosexualité était encore sévèrement réprimée, ils permettaient notamment aux lesbiennes de s’identifier entre elles. Dans son ouvrage Les Garçonnes, Modes et fantasmes des années folles, l’historienne Christine Bard présente le témoignage d’Hélène Azénor qui vivait dans le Quartier Latin avec son amie dans les années 30 : « Notre façon de nous coiffer, qui avait quelque chose d’indéfinissable pour les autres, était un signe de reconnaissance entre nous ».
« Il y a comme un superpouvoir dans l’homosexualité, comme une zone de flou qui te permet d’être perçue par les lesbiennes sans être perçue par les hétéros, analyse Laura, 25 ans, alors qu’elle parcourt sa galerie en quête d’anciennes photos prises avec Joséphine. C’est cool que nos codes restent un peu entre nous. »
Aujourd’hui, bien que la logique de l’underground et du placard soit moins prégnante, « il existe toujours un mécanisme de socialisation qui amène à adopter consciemment ou pas certains codes, explique Nelly Quemener. Par l’habillement, choix a priori personnel, l’individu se situe socialement, dans un double principe d’affirmation et de distinction. Mais tandis que les discriminations lesbophobes sont monnaie courante, s’approprier certains codes se révèle être un véritable jeu d’équilibriste à double tranchant. « Les lesbiennes les plus masculines sont exposées à beaucoup plus de violences, assure Lucie Bouchet, qui explore dans son documentaire Habiter la marge le rapport au vêtement et au politique chez les jeunes lesbiennes. Lorsqu’on cumule des oppressions, il est plus difficile de se positionner visiblement comme lesbienne.»
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Par Marine Bourrier
L’intégralité de l’article est disponible dans le numéro 105 de Jeanne Magazine.
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