Tous les mois, la chronique « Un mois, un roman » s’attaque au décryptage d’œuvres appartenant à la littérature lesbienne française et francophone. Connus ou moins connus, il s’agit de romans tour à tour touchants, violents, puissants ou fascinants. Parfois même tout ça à la fois. Ce mois-ci, Margot Lachkar décrypte L’Amour de nous-mêmes d’Erika Nomeni. Extrait de l’article publié dans le numéro 105 de Jeanne Magazine.

De quoi ça parle

Court roman sorti début février, L’Amour de nous-mêmes aborde le quotidien ainsi que le passé d’Aloé, femme noire, lesbienne, précaire et en surpoids. Au fil des dix lettres adressées à une mystérieuse personne, Sujja, la narratrice lui et nous fait part de son parcours, de ses interrogations, de ses convictions aussi. Quelle place, dans notre société sexiste, raciste, classiste, grossophobe et lesbophobe, pour une personne comme elle ? Comment (sur)vivre, travailler, aimer, être bien entourée quand on ne trouve sa place nulle part ? L’humour et le militantisme peuvent-ils sauver Aloé ? Autant de grandes questions posées par ce roman publié aux éditions Hors d’atteinte.

Lesbienne dans la communauté noire

Fruit de multiples identités qui ne cessent de s’entrecroiser, de se mêler, et parfois de s’affronter, Aloé a du mal à se positionner dans la société dans laquelle elle évolue. Les lettres – qui sont en fait des e-mails, mais qu’elle appelle lettres – qu’elle envoie à Sujja de façon plus ou moins régulière, débutent en 2021, après les deux premiers confinements dus au Covid-19. À Sujja, elle dit tout, nous ouvrant les portes de sa vie, de son passé, de ses pensées les plus intimes. Se succèdent ainsi des récits de ruptures lesbiennes douloureuses, des remarques sur l’insalubrité de son logement, mais aussi des réflexions sur le racisme et le colorisme. Dès les premières lignes de la première lettre, le ton est donné :
« Marseille, le 15/01/2021
Salut Sujja,
L’année commence et je suis coincée chez moi entre les cafards et les punaises de lit. Ça fait plusieurs jours que j’ai rompu avec ma dernière ex, Chloé : j’essaie d’éviter de penser à elle, mais c’est dur. Elle a symbolisé beaucoup de choses sur lesquelles j’ai décidé de faire une croix, pour mon bien… Enfin, c’est ce que je crois. J’aimerais m’échapper de mes propres pensées pour arrêter de me flageller d’avoir encore succombé – à quoi exactement ? je ne sais pas. Comme si on avait le choix… »

La précarité et le lesbianisme, deux éléments centraux dans la vie d’Aloé – avec le racisme –, sont ainsi présents et présentés dès le début. L’ambiance du début de cette première lettre n’est pas fameuse : on sent la narratrice désorientée, triste et isolée, avec des insectes nuisibles pour seule compagnie.
Ces deux premières facettes de son identité sont rapidement complétées par d’autres : la narratrice raconte à Sujja son enfance au Cameroun, son arrivée en France, mais aussi ses années de militantisme antiraciste au début de la vingtaine, lorsqu’elle habite encore en région parisienne. Dans une de ses lettres, elle raconte à Sujja une soirée en particulier, qui se déroule à Marseille, où elle vit désormais :
« J’appréhendais de me retrouver avec des hétéros et des Blancs, ce qui a effectivement été le cas même s’il y avait pas mal de mecs noirs – mais comme d’habitude, j’étais la seule Renoie. Je me sentais terriblement mal à l’aise, j’avais l’impression d’être dans le club des hommes noirs qui ne sortent qu’avec des Blanches tout en n’étant pas vraiment dans l’équipe, car lesbienne. […] Lors de cette soirée, j’ai eu l’impression de retourner dans tous mes placards. »

Cette soirée est l’un des nombreux exemples de ce que la narratrice vit au quotidien : un écartèlement, aussi constant que violent, entre plusieurs identités et plusieurs communautés. Ici, l’écartèlement est double : Aloé est entourée de Blanc·hes et d’hétérosexuel·les et, même s’il y a quelques autres personnes racisées dans cette soirée, elle ne se sent pas moins seule pour autant, puisqu’il s’agit d’homme cisgenres et hétérosexuels. Et ces derniers sont en couple avec des femmes blanches, loin du blacklove, un concept auquel la narratrice revient plusieurs fois au fil du roman, et que nous évoquerons plus loin.
Dès lors, qu’en est-il lorsqu’elle date ou est en couple avec d’autres lesbiennes, ou lorsqu’elle évolue dans la communauté lesbienne ? Pourrait-elle, là, trouver sa place ?

Noire dans la communauté lesbienne

Assez rapidement, Aloé nous livre un constat cinglant : sur le marché de l’amour, elle est le dernier choix. Un motif revient au fil des lettres à Sujja : Aloé craque sur une Blanche, soit ça ne fonctionne pas parce que l’attirance est à sens unique, soit elle entame une relation, mais celle-ci s’arrête chaque fois bien vite, pour cause de racisme. Et ça recommence.
Qu’il s’agisse de la société française blanche en général, ou des lesbiennes en particulier, le racisme est omniprésent, et peut s’exprimer de nombreuses façons, par l’attaque verbale ou physique la plus directe ou par des commentaires et commentaires insidieux. Au point que la narratrice semble parfois se résigner, notamment quand elle parle d’une énième lesbienne blanche sur laquelle elle craque :
« Comme elle était blanche, je me suis dit que je n’étais probablement pas sa came, et les mois ont passé. »

(…)

Par Margot Lachkar

L’Amour de nous-mêmes d’Erika Noemi publié aux éditions Hors d’atteinte.

L’intégralité de l’article est disponible dans le numéro 105 de Jeanne Magazine

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