Cassandre Di Lauro, doctorante, actuellement en troisième année de thèse en Études Anglophones à l’Université de Lille, travaille sur les terres lesbiennes, plus particulièrement sur celles d’Oregon aux États-Unis. Pour Jeanne Magazine, elle nous parle de ses recherches, des femmes qu’elle a rencontrées sur place et du réseau de chercheuses qu’elle a monté pour collaborer sur le sujet. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 104 de Jeanne Magazine.
Comment définirais-tu ce qu’est une terre lesbienne ? Cela dépend, si on parle en France ou aux États-Unis. En France, on va avoir tendance à dire terre de femmes, et aux États-Unis, cela varie, en fonction des personnes qui y habitent. On va avoir des terres qui se sont revendiquées dans le passé terres de femmes et se revendiquent aujourd’hui terres lesbiennes, et d’autres qui se sont toujours revendiquées lesbiennes. C’est le cas de Fly Away Home, l’une des plus vieilles terres d’Oregon, qui a été créé en 1974 par deux lesbiennes séparatistes. (…)
Pourquoi as-tu spécifiquement choisi d’orienter tes recherches sur les terres lesbiennes d’Oregon ? En fait, c’est là qu’il y en a eu le plus par le passé et c’est encore le cas aujourd’hui. Dans les années 70, les terres ne sont pas chères en Oregon. Situé juste au nord de la Californie, c’est un état de bouillonnement intellectuel, qui a vu l’arrivée de nombreux hippies et de militant·es favorables à un retour à la terre (backto-the-land movement) dans les années 1960. Le contexte est donc propice à l’apparition d’autres communautés. Il s’avère que de nombreuses lesbiennes, pour ne pas dire toutes les lesbiennes étasuniennes, migrent vers l’Oregon à un moment donné, si ce n’est pour s’installer pour de bon, en tout cas pour y séjourner l’été. Et ça a continué là-bas, parce que des artistes s’y sont installées, notamment les photographes Tee Corinne, qui a beaucoup fait pour médiatiser les terres lesbiennes, ou Ruth Mountaingrove, qui a créé la revue WomanSpirit.(…)
Quelle a été ta porte d’entrée aux terres lesbiennes ? Ça a commencé par la lecture de Reclaim : Anthologie de textes écoféministes d’Emilie Hache, publié en 2016 chez Cambourakis. Un des articles, Womyn’s Lands communautés séparatistes lesbiennes rurales en Oregon, originellement publié en 2002, parle des terres lesbiennes. Il est signé par Catriona Sandilands, une chercheuse qui a fait une partie de ses recherches sur les terres lesbiennes d’Oregon. J’ai trouvé ça génial qu’un tel paradis existe ! À l’époque, je ne m’identifiais pas encore comme lesbienne mais je me disais déjà qu’évoluer dans un espace sans homme serait formidable. Ensuite, j’ai écouté deux podcasts qui abordaient les terres lesbiennes : l’épisode Retrouver la terre d’Un podcast à soi, par Charlotte Bienaimé, diffusé sur Arte et Une terre à soi du podcast LSD, réalisé par Clémence Allezard et diffusé sur France Culture. Tout cela a créé une émulsion en moi et je me suis dit que c’était le sujet idéal pour ma thèse.
Quelles étaient les motivations de ces femmes à intégrer une terre lesbienne dans les années 70 ? À cette époque, les lesbiennes réalisent rapidement qu’elles n’ont pas trop leur place dans le mouvement féministe, donc elles créent leurs propres lieux, leurs propres collectifs, etc. Ce retour à la terre est une réponse aussi à l’urbanisme effréné. Les lesbiennes ont envie de fuir ces villes horribles, remplies d’hommes capitalistes qui ont détruit la nature. C’est aussi les débuts du Michigan Womyn’s Music festival. Culturellement, il se passe plein de choses pour les lesbiennes aux Etats-Unis jusqu’à la moitié des années 80. (…)
Est-ce que ce travail que tu réalises depuis maintenant 3 ans t’a permis d’avancer dans la construction de ton identité lesbienne ? Complètement. Quand j’y suis arrivée, je me disais bie. Je ne sortais plus avec des mecs mais je n’avais pas passé le cap de me dire lesbienne. Ça a été un sujet de conversation immédiat avec toutes les lesbiennes que j’ai rencontré sur ces terres. Elles sont nombreuses à avoir eu un passé hétéro. Une bonne moitié ont fait leur coming out dans les années 70, quand elles ont eu 30 ans, mais avant, certaines avaient été mariées avec un homme, avaient eu des enfants, et donc c’était intéressant de voir leur construction en tant que lesbienne, sachant qu’aujourd’hui elles se revendiquent complètement lesbiennes.(…)
Peux-tu nous parler du réseau de chercheuses, que tu as monté pour travailler sur les terres lesbiennes ? Je l’ai lancé en septembre dernier, après m’être rendu compte en Oregon, qu’on était plein de meufs à bosser sur les terres lesbiennes. Certaines ont décidé de faire des documentaires, d’autres de faire leur thèse ou leurs travaux de mémoire, etc. Je me suis dit que c’était fou de travailler sur des sujets similaires sans se connaître. À mon retour en France, j’ai rencontré des jeunes chercheuses, notamment grâce aux Archives Lesbiennes de Paris, qui faisaient un travail extra et j’ai décidé de créer ce réseau. Il est composé d’une vingtaine de chercheuses, d’artistes, de vidéastes, de photographes et de profs, installés aux Etats-Unis et dont les recherches portent sur la culture lesbienne. On échange tous les mois en visioconférence sur nos recherches et nous avons pour projet d’organiser un colloque international à Lille, mon université de rattachement, en septembre 2024.
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L’intégralité de la rencontre avec Cassandre Di Lauro est disponible dans le numéro 104 de Jeanne Magazine.
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