Un jour, sur Instagram, je reçois une invitation d’une personne inconnue. Avec toute la paranoïa qui me caractérise, j’écume d’abord le profil concerné avant d’ouvrir le message, vivant depuis toujours avec la peur de croiser sur ma route un fanatique de Jeffrey Dahmer capable de dépecer ses victimes par messagerie virtuelle interposée. Et puis je vois ses photos, je reconnais des visages, des sourires, il y a des couleurs, des arcs-en-ciel et des tenues en cuir, et un message qui me dit « Salut ! Je m’appelle Alice, je suis photographe et vidéaste. J’ai un projet photo autour du manque de visibilité chez les lesbiennes. Ça te dirait qu’on se prenne un café pour en discuter ? ». Extrait de l’article publié dans le numéro 101 de Jeanne Magazine.
Finalement, ce n’est pas un café qu’on a pris, mais une bière, à la Gougnotte bien évidemment. En arrivant au bar alors qu’Alice m’attend déjà, je la reconnais tout de suite avec son manteau de cuir aussi vif que son rouge à lèvres ; je vous l’avais dit, chez Alice, il y a beaucoup de couleurs. On s’est installées en terrasse avec nos demis, et on a discuté.
« Un de mes premiers souvenirs, c’est quand je dessinais des femmes toutes nues dans mes cahiers »
Quand je discute avec Alice, ce n’est pas une surprise qu’elle me dise être née en Italie, dans le Piémont, dans un petit village de campagne dont elle a gardé l’accent chantant. Elle me parle de son village natal comme d’une scène de théâtre, où chacun a son rôle : l’enfant bagarreur, la fille timide et première de la classe, la bande de garçons cascadeurs, la meilleure copine toujours fourrée dans les histoires… Des rôles prévus pour tout le monde et qu’on accepte avec plus ou moins d’enthousiasme de jouer. Son rôle, à Alice, c’était celui de « la fille artiste ». Elle me parle de la légende qu’elle s’est forgée, avec son personnage de petite fille fantaisiste et presque marginale, dont la maman est française et qui a dans son jardin un vieux château en ruines, et j’ai la sensation que déjà, Alice prend conscience de tous les éléments qui construisent un personnage ; un décor énigmatique, des origines exotiques avec une pointe de romance à la française, un mythe qui se dessine à mesure que les histoires d’enfants se racontent. Son rôle d’enfant artiste, elle l’embrasse complètement, en même temps qu’elle rêve d’embrasser Charlize Theron dans la pub Dior quand elle la voit à la télé sortir de la piscine. Grâce à sa maman qui a la passion de la peinture, elle connaît vite le monde de l’art, et elle a 6 ans quand elle dessine des femmes toutes nues au fond de ses cahiers d’écolière. Les maîtresses la laissent faire, et aujourd’hui ce fameux dessin existe toujours, c’est sa sœur qui l’a gardé. Dans la légende d’un personnage, il y a aussi toujours une prophétie, et c’était celle-ci.
« Il y a toujours des passages chamaniques dans la vie des lesbiennes »
Et puis l’adolescence arrive avec son lot d’hormones et de questions, et la confusion que nous avons toutes faite entre admirer une femme en tant que modèle d’accomplissement féminin, ou être amoureuse d’une femme. Être lesbienne, ça devient aussi une identité politique et culturelle, à l’époque bénie des années 2000 quand la pop s’empare du lesbianisme (merci tata Lady Gaga), mais même si c’est clair dans la tête de Alice, elle se heurte déjà à un sujet dont on reparlera plus tard dans notre conversation : comment se revendiquer en tant que lesbienne et le crier au monde quand on met des talons et du maquillage ? Est-ce qu’il y a une bonne façon de « s’habiller lesbienne » quand on est adolescente, quand on n’a pas d’exemple de lesbienne féminine, et quand on nous dit qu’une fille aussi jolie aime forcément les garçons ? Alice commence à prendre conscience de son besoin de témoigner, alors elle prend des photos.
« S’il y a une photo, c’est parce que ça a existé »
On arrive au moment où Alice grandit, et elle arrive en France pour un Service Volontaire Européen à la Scène Nationale de Toulon à 19 ans, suite logique de son personnage de petite fille artiste. Elle apprend seule l’art de la photographie et de la vidéo, et comme elle vient d’Italie, elle peut demander à Patrick Bruel d’être son modèle sans savoir qui c’est ce mec avec des lunettes de soleil après qui tout le monde court. Pendant ses quatre années au théâtre, elle se confronte au monde du spectacle, et surtout, elle s’en imprègne : j’ai la sensation que pour Alice, son art et l’art des autres communiquent, résonnent, se nourrissent. Elle arrive à Toulouse pour un an en école de photo, et si elle a choisi d’arrêter le milieu théâtral, elle n’en a pour autant pas fini avec le spectacle vivant : c’est là qu’elle se rapproche de la scène drag-queen.
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Par Bruna
Retrouvez Alice Perotti sur Instagram @zalyyy ou sur son site aliceperotti.com
L’intégralité de cet article est disponible dans le numéro 101 de Jeanne Magazine.
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