Plongeons dans l’Herstory avec la militante américaine Arden Eversmeyer qui, à 91 ans, a consacré une grande partie de sa vie à documenter les parcours de lesbiennes. À Houston, elle a fondé, en 1987, le groupe de soutien Lesbians Over Age Fifty (LOAF) et, 11 ans plus tard, le Old Lesbian Oral Herstory Project (OLOHP) pour lequel elle a mené plus de 700 entretiens de lesbiennes âgées de plus de 70 ans dans tous les États-Unis. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 100 de Jeanne Magazine.
Vous avez fait votre coming out en tant que lesbienne à une époque où c’était encore un tabou. Comment s’est-il passé ? J’ai toujours pensé que c’était un processus, pas un événement particulier. J’ai compris que j’étais lesbienne au début de mon expérience universitaire. Je fréquentais une université de femmes, je pratiquais plusieurs sports et, pour la première fois de ma vie, je me sentais à l’aise avec d’autres filles. Je n’ai jamais compris pourquoi mes amies du lycée étaient toutes excitées par les garçons. Donc, dans un sens, j’ai fait mon coming out à l’université, mais seulement à moi-même et à mes amis proches. Si l’administration de l’école l’avait su, j’aurais été mise à la porte – nous avions tous vu cela arriver à des dizaines de femmes au fil des ans.
Pendant les 30 années suivantes de ma vie, je n’ai fait mon coming out qu’auprès de quelques amis. En tant qu’enseignante, le fait de me révéler signifiait non seulement la perte de mon emploi, mais aussi l’impossibilité de trouver un autre emploi dans tout l’État. Cela ne veut pas dire que mes collègues n’ont pas reconnu que j’étais lesbienne. Beaucoup d’entre eux connaissaient ma partenaire et acceptaient notre relation pour ce qu’elle était.
Plus tard dans ma vie, après avoir pris ma retraite de l’enseignement, j’ai pu être librement out avec tout le monde. Pour en revenir à mon affirmation selon laquelle il s’agissait d’un processus : même à 91 ans, il y a encore des moments où je dois faire mon coming out, comme lorsque je rencontre un nouveau médecin. Tant que l’hétérosexualité est considérée comme la norme, le coming out est un processus qui dure toute la vie.
Au début de ma première année d’université, j’ai rencontré une autre étudiante, plus âgée, qui est devenue ma première amante. Aujourd’hui, à 91 et 94 ans, nous sommes toujours en contact et nous rions encore de notre « combustion spontanée » d’il y a plus de sept décennies.
Vous avez consacré une grande partie de votre vie à documenter les histoires de vie des femmes lesbiennes. Qu’est-ce qui vous a motivée à l’origine à faire ce travail de longue haleine pour le Old Lesbian Oral Herstory Project ? En vieillissant, j’ai commencé à comprendre qu’à mesure que nous perdions des femmes de nos groupes sociaux, nous perdions aussi les histoires qu’elles racontaient sur ce qu’était leur vie. J’ai pensé que nous pourrions peut-être demander aux femmes d’écrire un peu sur leur vie, mais elles ne le faisaient pas d’elles-mêmes. Puis, lors d’une conférence, j’ai rencontré quelqu’un qui avait de l’expérience en matière d’histoires orales et j’ai décidé que je pourrais peut-être interviewer certaines des femmes âgées de mon cercle. Une fois que j’ai commencé, j’ai été accrochée, et mes entretiens ont rapidement dépassé le cadre des femmes que je connaissais. À ce stade de ma vie, je voyageais beaucoup et je trouvais des femmes en chemin qui correspondaient à mes critères – être une femme âgée de 70 ans ou plus et s’identifiant comme lesbienne – et cela m’a permis d’élargir mon cercle. (…)
Après plus de 700 témoignages recueillis et la publication de 2 livres, avez-vous remarqué des points de convergence dans les histoires recueillies ? Je suppose que l’on pourrait dire que certains thèmes se répètent d’une histoire à l’autre, mais j’ai été étonnée de voir à quel point chacune est différente. Comme cela fait maintenant 25 ans que je fais ce travail, je vois de plus en plus de différence. Au début, beaucoup des femmes interrogées étaient nées dans les années 20 et 30. Elles ont grandi à une époque où il n’y avait presque rien pour les aider à comprendre ce qu’elles ressentaient, ni livres, ni magazines, ni organisations. Pour elles, faire son coming out signifiait souvent perdre ses amis, sa famille, son église et parfois son emploi. Cette peur a accompagné la plupart de ces femmes toute leur vie, même lorsque les risques étaient bien moindres. Aujourd’hui, beaucoup des femmes que nous interrogeons sont nées dans les années 40 et 50. Elles disposaient de plus de moyens, et les risques n’étaient pas aussi grands, mais ils étaient toujours réels. Les femmes de ce groupe plus tardif risquaient toujours de perdre leurs enfants en faisant leur coming out et, même si elles n’étaient pas licenciées, elles étaient mises à l’écart ou leurs possibilités d’avancement étaient limitées. Alors, des points de convergence ? Oui. Elles ont toutes couru le risque de subir des pertes importantes dans leur vie simplement parce qu’elles sont lesbiennes.
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Retrouvez l’intégralité de notre rencontre avec Arden Eversmeyer dans le numéro 100 de Jeanne Magazine.
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