Le 4 septembre dernier, le peuple chilien a massivement rejeté la proposition de nouvelle Constitution qui visait à remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Près de 62 % des Chiliens n’ont pas soutenu le texte qui aurait notamment consacré davantage de droits sociaux et LGBTQ+. Qu’en est-il de la question de la diversité sexuelle et de genre dans le pays, un an après l’ouverture du mariage aux couples homosexuels ? Éléments de réponse avec Marcela Riquelme Aliaga qui est devenue, en 2021, la première femme ouvertement lesbienne à siéger au Congrès national du Chili et qui vient de déposer un projet de loi visant à faire officiellement du 9 juillet la journée nationale de la visibilité lesbienne. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 100 de Jeanne Magazine.
Vous êtes ouvertement lesbienne – ce qui est assez rare en politique – et militez avec ferveur pour visibiliser le combat des femmes LBQ au Chili. Affirmer fièrement celle que vous êtes est-il une façon de montrer aux lesbiennes chiliennes qu’il est possible d’être lesbienne et de vivre une vie pleine de sens ? Dans l’histoire politique de mon pays, il y a eu beaucoup de femmes lesbiennes. Cependant, oser le dire est encore très inhabituel dans un pays conservateur comme le Chili. Il est important de rendre visible notre réalité, de rendre visible les discriminations dont ont été victimes nos communautés, afin de transformer notre législation et de donner une protection aux personnes qui sont les plus vulnérables ou qui ont été les plus abandonnées dans notre société, comme la communauté transgenre.
Je crois également qu’après avoir montré qu’en tant que femme lesbienne, il est possible de construire une famille et de réaliser ses rêves, nous pouvons aider d’autres personnes, en envoyant un message positif principalement aux filles, aux adolescentes et aux jeunes femmes de notre pays. Je suis convaincue qu’une vie pleine et réussie est possible, malgré tous les obstacles que la société met sur notre chemin. Je soulève ce dernier point au vu des taux élevés de suicide d’enfants et d’adolescents dans notre pays, qui sont en rapport avec la non-acceptation de leur sexualité par la société et leurs familles.
De votre côté, avez-vous déjà été victime d’actes lesbophobes dans vos différents postes passés ? Oui, dans la sphère privée, j’ai été victime de moqueries et de discrimination de la part de mes collègues, car lorsque j’ai commencé à pratiquer le droit, le cercle professionnel était principalement masculin dans la région d’O’Higgins, là où je vis et travaille. On a encore tendance à cacher son orientation sexuelle et au moment de l’affronter, il faut accepter, malheureusement, d’être l’objet de ce type de moqueries. Dans la sphère publique, lorsque je travaillais comme fonctionnaire dans une agence d’État, j’ai également subi ce type de discriminations, qui allait de la critique de mes vêtements au fait de nier l’existence de ma famille et de mes enfants en tant que tels.
Avec pour but de donner de la visibilité aux lesbiennes et de préserver la mémoire des femmes lesbiennes victimes de lesbophobie au Chili, vous avez déposé le 25 juillet dernier un projet de loi qui vise à faire du 9 juillet la journée nationale de la visibilité lesbienne. Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette initiative et sur les avancées de ce projet de loi ? Ce projet a du sens non seulement en raison de la visibilité internationale que cette journée commémore, mais aussi en raison du contexte de mon pays. Mónica Briones a été la première victime d’un crime de haine lesbophobe au Chili. Elle est décédée le 9 juillet 1984 dans des circonstances qui, à ce jour, n’ont pas été éclaircies, rendant sa mort invisible après la fermeture de l’enquête 10 ans plus tard.
Ce crime a été caché dans l’histoire de notre pays comme beaucoup d’autres épisodes que l’État conservateur n’a pas voulu reconnaître. C’est pourquoi il était si important de mettre en lumière l’existence de Monica, qui était une artiste et qui n’avait pas peur de son homosexualité. Aujourd’hui, c’est très important que toutes les filles, les jeunes femmes, les adolescentes, les lesbiennes plus âgées de mon pays et leurs familles aient la tranquillité d’esprit de savoir qu’elles ne sont plus invisibles pour l’État et qu’il y a des personnes dans la prise de décision politique qui travaillent pour leur protection et celle de leurs familles.
Ce projet de loi est actuellement en discussion au sein de la commission de la culture de la Chambre des députés. Cependant, nous espérons qu’il passera bientôt au vote général afin de poursuivre son passage au Sénat de la République du Chili.
En parlant de vote, le 4 septembre dernier, le peuple chilien a massivement rejeté le projet de nouvelle constitution qui était pourtant progressiste et visait à refléter la diversité de la société chilienne. Elle aurait notamment permis davantage de sécurité pour les personnes LGBTQ+. Quelle a été votre réaction au soir des résultats ? C’est avec beaucoup de tristesse et de frustration que j’ai reçu les résultats le 4 septembre dernier, en déplorant la situation de nombreuses familles qui voyaient dans cette nouvelle Constitution un espoir de reconnaissance grâce à un texte construit dans une approche féministe, paritaire, démocratique, sociale et écologique qui reconnaissait non seulement la diversité sexuelle, mais aussi toutes les formes de famille. Je crois que l’espoir de la diversité sexuelle reste intact, mais cela demandera un travail plus lent et beaucoup de dialogue social, qui ne nous fera en aucun cas reculer, mais plutôt repenser les contenus et les manières de les aborder. (…)
Revenons à votre histoire plus personnelle : être lesbienne sous la dictature Pinochet qui était un modèle machiste et patriarcal était très compliqué. Pouvez-vous revenir sur votre coming out et la réaction de vos proches ? La situation était difficile non seulement pendant la période de la dictature, mais aussi pendant les premières années du retour à la démocratie. Nous étions une génération qui a grandi sans éducation civique, donc sans le respect des droits humains, et cela signifiait que l’expression de toute autre forme sociale que la famille catholique traditionnelle n’était pas bien vue. À cette époque, le lesbianisme, ainsi que toute autre espace d’expression de la diversité sexuelle, était clandestin, silencieux, c’était un tabou social et familial. (…)
Aujourd’hui, quels sont vos projets à venir – et vos espoirs – notamment pour la communauté lesbienne au Chili ? La première chose est de se sentir représentée. C’est un message très important que nous avons transmis à la communauté lesbienne de mon pays, qui est présente à la fois dans le gouvernement du président Gabriel Boric, où nous avons une ministre ouvertement lesbienne, une députée – moi-même -, une maire dans une commune importante de la région métropolitaine, des conseillères, diverses représentantes de notre communauté dans le monde du sport, du spectacle et des arts qui ont assumé leur orientation sexuelle et l’ont porté comme un étendard de lutte pour que le reste de la société comprenne notre réalité basée sur le respect. (…)
Retrouvez l’intégralité de notre rencontre avec Marcela Riquelme Aliaga dans le numéro 100 de Jeanne Magazine.
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