Être lesbienne est une richesse et Clotilde nous le démontre avec son projet de librairie itinérante Les Guérillères. La jeune femme de 42 ans vit dans les Monts d’Arrée dans le Finistère et se désole du manque de lieu dédié aux LGBT dans le coin. Qu’à cela ne tienne, et si je le comblais se dit-elle ! Passionnée par les lettres, le mouvement et le partage, elle planche alors sur un concept qui alliera ces 3 centres d’intérêt. Et aujourd’hui, elle s’apprête à lancer Les Guérillères, une librairie itinérante – comprenant principalement des livres féministes et LGBT -, où elle organisera également des stages et des ateliers. Mais c’est encore Clotilde qui en parle le mieux…
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Je suis Clotilde, j’habite à Huelgoat, j’ai 42 ans et je suis aussi mère de deux enfants. J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur du travail social : alphabétisation et cours de Français auprès de personnes migrantes, prévention spécialisée, Planning Familial, Instituts Médico-Educatifs. Ces dernières années j’ai travaillé pour une association de prévention des violences sexistes et sexuelles. J’ai aussi toujours animé en parallèle pendant plusieurs années des ateliers et stages de danse, Mouvement Authentique (souvent mêlés à l’écriture/lecture). Je fais partie d’une bibliothèque féministe, et l’envie de rassembler mon goût pour les livres, mon engagement politique, notamment concernant le rapport au corps et le lien entre corps individuel et corps collectif, me pousse aujourd’hui à créer Les Guérillères.
Passionnée par les lettres et par l’engagement féministe, vous développez un concept assez novateur en France : une librairie itinérante féministe et LGBTQIA+ dans le Finistère. Pouvez-vous nous présenter les racines de ce projet ? Depuis enfant, j’ai appris, compris, déconstruit, partagé et échangé grâce aux livres. Lire et écrire me nourrissent et me donnent les clés pour me transformer et transformer le monde. Chaque jour. Être lesbienne dans les Monts d’Arrée m’a conduite à de grands moments de solitude, et grâce à la littérature lesbienne et LGBQTI+ (livres et magazines), je me suis sentie appartenir un peu plus.
J’ai beaucoup exploré (et je continue) les liens entre mouvement et écriture ; ce sont deux processus de création (individuels ou collectifs) que j’adore et qui vont très bien ensemble. Je fais partie d’une bibliothèque féministe depuis plusieurs années et j’animais des stages, ateliers et formations (danse et arts-thérapies, genres et sexualités), j’avais envie de rassembler mes matières [Rires].
Pourquoi avoir opté pour un modèle itinérant ? Et concrètement comment comptez-vous organiser les itinéraires à emprunter ? L’itinérance correspond très bien au territoire des Monts d’Arrée : petites communes qui parsèment un paysage plutôt montagnard. Aussi, cela me permet de démarrer avec plus de légèreté qu’avec un lieu par exemple ; et aussi je suis seule pour l’instant donc le format est vraiment adapté à ma situation. Je serai présente dans plusieurs marchés hebdomadaires (nord, centre, sud-est et sud-ouest des Monts d’Arrée) ; et dans des évènements et festivals en France et en Belgique.
Quels ouvrages comptez-vous proposer aux Guérillères et quels seront les critères de sélection ? Il y a certainement autant de « définitions » des féminismes que de vagues qui les composent [Rires]. Mon intention est de choisir des ouvrages qui permettent d’ouvrir les imaginaires, de sortir des histoires qui représentent uniquement les normes dominantes de race, classe, genre, sexe, corps, santé.
Donc, un fond principalement écrit par des femmes, et personnes LGBTQI+, et qui s’adresse à toustes, bien entendu !
Les histoires que je vous propose de lire sont des histoires extraordinaires, pour se donner à rêver, être, relationner, aimer, penser et agir de mille manières différentes et inspirantes.
Que ce soit en rayon jeunesse, livres théoriques, BD ou romans ; il s’agit de vous offrir à lire le courage et la force de rêver le cœur grand ouvert.
Avec ce projet, vous portez également la volonté de rompre l’isolement en créant de la convivialité. Et vous envisagez également la possibilité de mettre en place des stages et des ateliers et pourquoi pas des moments de rencontres avec les autrices. Pouvez-vous nous parler de ces “extensions” à la librairie ? Et de leurs objectifs ? Il s’agit d’offrir un lieu où découvrir des histoires et univers originaux, d’amener la lecture et l’écriture aux personnes qui en sont souvent éloignées (milieu rural). Les Guérillères se veut aussi une librairie pour des personnes LGBTQ+, car les lieux culturels, et tout simplement de socialisation LGBTQI+ sont inexistants sur la quasi-intégralité du territoire breton. Le nom de la librairie vient d’ailleurs du roman éponyme de Monique Wittig, écrivaine lesbienne, co-fondatrice du Mouvement de Libération des Femmes et des Gouines Rouges.
Tu peux rester assise pendant des heures sur le sommet des arbres pour attendre le matin. Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps, tu dis qu’il n’existe pas. Mais souviens-toi. (…) Ou à défaut, invente.
Monique Wittig – Les Guérillères
J’expérimente depuis plusieurs années les liens entre le mouvement et le langage. Je continuerai donc de proposer des stages et ateliers Mots en Mouvement pour créer, explorer, inventer et apprendre comment notre corps fonctionne bouge, interagit et parle. Ce seront des ateliers d’explorations en aller-retour entre des mots (issus du fond de la librairie et ceux des participant·es) et du mouvement.
Enfin, parce que je proposerai des présentations d’ouvrages, d’auteurices qui parfois animeront des ateliers d’écriture collective.
J’ai à cœur de continuer à venir échanger autour des thèmes que je « mâche » depuis plusieurs années : genres et sexualités, consentement, poser ses limites, mécaniques oppressives (comment fonctionnent le racisme, le sexisme, le validisme, le classisme… et comment sont-il liés).
Dans les établissements scolaires, les centres sociaux et autres structures avec lesquelles j’aurais la joie de co-construire des partenariats (notamment dans le cadre de l’action Jeunes en Librairie); l’idée est de proposer un projet sur plusieurs séances, avec comme point de départ un ou plusieurs ouvrages de la librairie.
Une convivialité dont nous parlions et qui est au centre de votre vie puisque vous hébergez régulièrement des personnes LGBTQIA+ via votre chambre d’hôtes, un fourgon aménagé et une maison située à Huelgoat au cœur des Monts d’Arrée. Pouvez-vous nous parler de ce territoire finistérien que vous aimez faire découvrir pour inciter les lectrices de Jeanne à vous y rencontrer ? Le Finistère est magnifique : bord de mer, plages, forêts, lacs, patrimoine… Beaucoup de sites naturels magnifiques à découvrir grâce aux GR et autres sentiers balisés (à pied ou à vélo). Territoire qui sait rester sauvage, riches d’initiatives écologiques sociales et solidaires ; et festif !
En quoi la collecte de fonds que vous êtes en train de lever avec votre campagne Kengo vous permettrait de mettre ce projet sur pied ? La collecte me permettrait de cofinancer l’achat du premier fond de livres.
Quels sont vos projets pour les mois à venir ? Créer la librairie et lancer mon activité ! Continuer à élaborer notre jardin et organiser des apéros/aprem/soirées LGBTQI+.
Pour soutenir la naissance des Guérillères, la librairie itinérante de Clotilde, dont l’ouverture est prévue le 1er décembre 2022, rendez-vous sur la page Kengo.bzh du projet.
Cette rencontre avec Clotilde a été publiée dans le numéro 98 de Jeanne Magazine.
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