J’ai toujours eu une relation compliquée avec mes poils. Enfant, ma non-pilosité était mon plus grand fardeau, avec mon absence de règles et ma virginité. Je voulais tellement avoir des poils que je me suis un jour rasé le pubis glabre parce que c’était censé stimuler la pousse. Et vous savez quoi ? Dès que mes premiers poils sont apparus, ma préoccupation majeure a été de les éliminer.
J’aimerais vous dire qu’être une femme me rend automatiquement antisexiste, comme être lesbienne me libérerait des biais homophobes. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous vivons dans un monde gouverné par de vieux hommes blancs qui nous disent quoi faire, quoi penser, quoi désirer. Comme tout le monde, j’ai donc appris à détester mes poils. Et soyons honnête, le lavage de cerveau a été ultra-efficace.
Je croyais me raser par choix
Quand j’ai opté pour l’épilation au laser il y a quelques années (non, ce n’est pas permanent et oui, c’est douloureux), j’avais une explication. Je n’étais pas inconsciemment lobotomisée par les hommes et la publicité, ça non. Je trouvais les poils vraiment moches. J’étais donc convaincue que je choisissais librement de m’allonger nue devant une femme qui m’envoyait des décharges électriques sur la vulve. Attention spoiler : ça n’avait rien d’un choix libre.
Vous avez sûrement remarqué, tout le monde parle de déconstruction ces temps-ci. Et c’est une bonne chose. Ça veut dire que nous questionnons nos systèmes de croyance, un processus rarement agréable.
Ce n’était pas agréable de constater ma lesbophobie intériorisée, particulièrement en tant que lesbienne. Ce n’était pas agréable de réaliser que j’étais pétrie de biais sexistes, racistes et grossophobes. Et ce n’était certainement pas agréable d’admettre que le choix de l’épilation « permanente » faisait de moi un parfait produit de la société mainstream.
« Les Allemandes ne se rasent pas »
Nous grandissons avec l’idée que les poils des femmes sont moches et sales. Je me souviens, à l’école, la rumeur disait que les Allemandes ne se rasaient pas les aisselles, et c’était censé être vraiment, vraiment dégoûtant. Je n’ai jamais questionné ces propos. J’ai grandi en voyant les femmes s’épiler les sourcils, les jambes et le maillot, et refuser ces rituels pénibles et chronophages ne m’a jamais traversé l’esprit.
Je ne me suis jamais demandé pourquoi, en plus du travail domestique gratuit que les femmes fournissaient sept jours par semaine, elles étaient censées apparaître comme des créatures minces, glabres et souriantes. Je ne me suis jamais demandé si la représentation du corps « féminin » était un outil de maintien du patriarcat. Je n’ai jamais interrogé la norme, tant j’étais occupée à rentrer dans le moule.
La révolte des poilues
L’année dernière, ma cousine de Berlin m’a rendu visite pour mon anniversaire. Elle portait un short et nous avons commencé à parler de ses jambes. Pas rasée depuis cinq ans, elle se sentait très à l’aise. Sa femme trouvait même ses poils extrêmement sexy. Soudain, j’ai éprouvé de l’admiration pour ma petite cousine. J’avais été son modèle lesbien dans le passé, mais maintenant, c’était elle le modèle. J’admirais sa liberté.
Quelques semaines plus tard, ma copine a arrêté de se raser les aisselles. Et je dois dire que la femme de ma cousine avait raison. Ses poils sont super sexy. J’ai encouragé ma copine dans sa démarche, malgré les commentaires désagréables de son environnement ultra-conformiste.
Chaque fois que mes amies se baladaient les aisselles, les jambes et le maillot poilus, je célébrais leur liberté. Mais je sentais également que j’étais moi-même loin d’être libre. Encore une fois, j’avais une explication : je suis basketteuse. Comment aurais-je pu jouer avec une touffe de poils sous les bras au milieu de vingt femmes rasées de près ?
La liberté a du poil sous les bras
Et puis c’est arrivé. Je ne sais pas trop comment. Il y a six mois, j’ai arrêté de me raser. Ça n’a pas été une décision consciente : l’idée a lentement pris racine dans mon esprit. J’adorerais vous dire « C’est facile… Essayez, vous aussi ! », mais ce serait mentir. L’épreuve du basket a été supportable parce que c’était l’hiver ; je portais des leggings et souvent des manches longues.
Au début, j’étais mal à l’aise dans les douches du gymnase. Je me suis habituée, même si j’ai l’impression de faire un coming out à l’arrivée de chaque recrue. Parce qu’elle remarque mes poils, et moi sa surprise. Mais bon, je me vois mal me présenter en disant : « Salut ! Moi, c’est Élie… et j’ai des poils partout. »
J’ai aussi eu du mal dans l’intimité. Quand mes jambes ont commencé à ressembler à celles d’un adolescent, j’étais moyennement enthousiaste à l’idée de me déshabiller devant ma copine. Mais après lui avoir parlé de ma gêne, sa bienveillance m’a apaisée et tout est rentré dans l’ordre.
Mes poils sont sexy
Il reste un seul problème : l’été arrive à grands pas. J’adore les shorts, mais je ne suis pas sûre d’assumer mes jambes poilues dans la rue. Peut-être vais-je recommencer à me raser. Ou faire comme mon amie Nadine qui enfile un pantalon quand elle se sent vulnérable.
Quoi qu’il arrive, il y a une chose fascinante à propos de cette aventure : l’évolution de mon propre regard. Quand mes poils ont commencé à pousser, je trouvais mes jambes très laides. Mais je ne me suis pas rasée pour autant, parce que j’avais envie de poursuivre l’expérience de la pilosité comme acte de rébellion.
À ma grande surprise, je me suis mise à aimer mon corps poilu au fil des semaines. Aujourd’hui, mon point de vue a radicalement changé. Quand l’eau de la douche me coule sur les jambes, j’aime la façon dont mes poils noircissent sur ma peau. Il y a même des jours où je trouve ma pilosité sexy. C’est ça la déconstruction, non ? J’ai appris à aimer mes poils, et j’en suis hyper fière.
Photo – @theoutfluencerin / Élisabeth Chevillet est une chroniqueuse et militante lesbienne française. Suivez Élie sur Instagram :@eliechevillet
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