Ce week-end, plusieurs marches lesbiennes organisées par les collectifs Collages lesbiens auront lieu en France. Les colleuses lesbiennes de Strasbourg et l’association La Nouvelle Lune ont décidé de proposer un cortège lesbien lors de la pride de Strasbourg le samedi 12 juin. Le rendez-vous est donné à 13 heures Place de l’Université, à côté de la fontaine de droite, avant le départ de la marche à 14 heures. À Lyon, un cortège lesbien se mettra en place lors de la Marche des Fiertés qui s’élancera de la Place Bellecour. À Lille, rendez-vous le 13 juin à 14 heures, près de la fontaine de la place de la République, pour une marche lesbienne qui aura pour mot d’ordre «Défendons les droits des lesbiennes ! ». À l’occasion de ces marches, nous vous invitons à (re)découvrir notre rencontre avec Ana Maria Simo, cofondatrice des Lesbian Avengers. Un groupe mythique fondé à New York en 1992, qui a, par ses actions mémorables, lutté contre la lesbophobie et l’invisibilité des lesbiennes et à qui l’on doit, entre autres, le lancement des Dykes Marches à travers le monde. Après avoir fui Cuba en 1967, Ana Maria Simo est arrivée à Paris, où elle a milité au sein du MLF, du FHAR et des Gouines rouges, avant de cofonder à New York les Lesbian Avengers, le 28 juin 1992. Pour Jeanne Magazine, elle revient sur son long parcours de militante. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 85 de Jeanne Magazine.

En 1992, vous avez cofondé avec Maxine Wolfe, Sarah Schulman, Marie Honan, Anne Maguire et Anne Christine d’Adesky, les Lesbian Avengers. Pouvez-vous revenir sur les débuts du mouvement et ce qui vous a toutes motivées à créer ce mouvement lesbien aujourd’hui historique ? J’étais enragée par l’invisibilité des lesbiennes dans l’espace public. Quand la colère commence à vous rendre malade et que vous avez la vision de bombes qui explosent, alors il est temps d’agir. J’ai alors contacté cinq autres lesbiennes et nous avons vécu une soirée exceptionnelle de réflexion à l’occasion d’un dîner chez moi. Comme moi, elles souhaitaient toutes qu’existe un groupe d’action directe, pas seulement un groupe de parole. Le nom, l’objectif, la structure, les premières étapes organisationnelles ont rapidement été trouvés. C’était à la fois très grisant et toutes les bases étaient posées. Les étoiles étaient probablement toutes alignées cette nuit de printemps-là.

En quoi votre expérience au sein des collectifs lesbiens français a-t-elle influencé la façon dont vous avez pensé le collectif Lesbian Avengers ? Je préfère l’action à la parole. Et j’ai aussi compris que les actions impactantes et percutantes nécessitent une organisation rigoureuse. Je n’ai pas eu l’occasion de mettre cette vision-là de l’action militante en pratique en France, alors c’était parfait que les cofondatrices des Avengers aient ce savoir-faire.

Les actions menées par les Lesbian Avengers étaient toutes très visuelles à cette époque. Les slogans étaient explicites (ce qui était novateur pour les années 90) et les actions révolutionnaires. Pouvez-vous partager avec nous l’action menée par les Lesbian Avengers qui vous a le plus marquée ? J’ai beaucoup aimé la première action menée devant l’école primaire dans le Queens. C’était fantastique. Une autre action qui m’a laissé de grands souvenirs est celle de l’occupation des locaux de Radio Mega, une station de radio homophobe hispanophone. J’ai coordonné cette action et c’est le film de Costa Gavras, État de siège, qui me l’a inspirée, en omettant bien sûr la violence meurtrière du film. Les détails chronométrés du kidnapping étaient fascinants dans le long-métrage et le timing de notre propre action (pacifique) à Radio Mega avait, lui aussi, été répété avec minutie. Nous avions même une voiture qui nous attendait pour nous enfuir. Aucune d’entre nous n’a été arrêtée. La logistique représente 50% de ce qui permet à une action d’être une réussite, les 50% restants résident dans la création visuelle. Nous avions les deux.

Vous avez dédié une grande partie de vos actions notamment à la lutte contre l’homophobie à l’école avec la publication du guide Children of the Rainbow. Comment définissiez-vous les priorités dans les actions à mener alors qu’il y avait tant (tout) à faire ? Lors des réunions hebdomadaires des Avengers, nous pouvions toutes proposer une action et les personnes qui étaient intéressées à l’idée de la concrétiser, les signaient. Chaque groupe ainsi formé travaillait la semaine durant sur les détails de l’action à mener et pouvait ainsi proposer à l’occasion de la réunion la semaine suivante un plan détaillé, qui lui était approuvé par toutes ou non. En somme, si vous souhaitiez qu’une action se réalise, il fallait l’orchestrer et la mettre en place personnellement. Vous en étiez la responsable. Le groupe ne le faisait pas pour vous.

Avec le recul aujourd’hui, qu’est-ce que vous retenez de cette expérience ? Qu’est-ce qui aurait pu permettre au collectif de perdurer au fil du temps ? Ce fut une expérience unique. Une confluence de talents exceptionnels, une énergie, une imagination, beaucoup de rires et (je sais que ça sonne ringard) de l’amour. Nous nous sommes toutes beaucoup aimées jusqu’à ce que ce ne soit plus le cas. Je ne garde que les bons moments aujourd’hui. Les Lesbian Avengers auraient pu résister quelques années de plus mais les groupes d’action directs sont, par nature, éphémères. Ou tout du moins cycliques (si les lesbiennes sont comme le phénix) et ça n’est pas une mauvaise chose.

Aujourd’hui vous qualifiez-vous toujours de Lesbian Avenger ? Quel serait votre message aujourd’hui aux lesbiennes qui vous lisent ? Oui, je le serai à vie ! Quant à mon message aux lesbiennes : Hey lesbiennes, nous sommes le phénix. Nous sommes régulièrement oubliées et effacées, mais nous revenons toujours et c’est à nous de nous prendre en main. Peut-être est-il aujourd’hui à nouveau temps de s’organiser ensemble avec toutes les autres femmes. Qui sait. Cela ne sera jamais pire que de rester prisonnière dans le purgatoire LGBT.

(…)

Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Ana Maria Simo dans le numéro 85 de Jeanne Magazine ainsi que notre rencontre avec Kelly Cogswell. Ancienne membre des Lesbian Avengers, elle est revenue sur son expérience de Justicière Lesbienne dans le livre Eating Fire : My Life As a Lesbian Avengers, sorti en 2014. Elle évoque avec nous les actions menées par le groupe, son héritage et témoigne de l’importance du militantisme lesbien.

En 1992, Les Lesbian Avengers ont lancé un mouvement mondial

Le 28 juin 1992, Ana Maria Simo, Sarah Schulman, Maxine Wolfe, Anne-Christine D’Adesky, Marie Honan et Anne Maguire, six militantes lesbiennes new-yorkaises, sont passées à l’action pour lutter contre la lesbophobie et l’invisibilité des lesbiennes en fondant Les Lesbian Avengers. L’objectif du groupe était d’identifier les problématiques lesbiennes et de donner de la force aux lesbiennes pour prendre part à la rébellion politique. La première réunion des Lesbian Avengers au Centre de services communautaires pour lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres de New York, réunit plus de cinquante femmes et le groupe monte en puissance. Au cours de la marche des Fiertés de New York, Les Lesbian Avengers distribuent des tracts invitant les lesbiennes à prendre leur destin en main : « Lesbiennes ! Gouines ! Homosexuelles ! Vous vous confinez dans un excès de prudence. Osez imaginer ce que vos vies pourraient être. Êtes-vous prêtes à passer à l’action ? » Leur premier combat a été la lutte contre l’homophobie à l’école. En septembre 1992, Children of the Rainbow, un guide de 440 pages, propose aux enseignants d’initier les élèves à différentes cultures et dans quelques pages, ils sont invités à utiliser des livres et des jeux pour aider les enfants à respecter les gays et les lesbiennes. Une liste de lectures comprend le livre Heather Has Two Mommies, qui parle d’une famille homoparentale et de l’insémination artificielle réalisée par l’une des mamans, et déclenche une violente campagne raciste et homophobe. En réaction, le jour de la rentrée scolaire, le 9 septembre, les Lesbian Avengers se rendent à l’entrée d’une école du Queens en portant des tee-shirts avec l’inscription “I was a lesbian child” (“j’ai été une enfant lesbienne”) et accueillent les enfants en musique avec des ballons mauves sur lesquels est écrit : Ask About Lesbian Lives, encourageant ainsi les enfants à les interroger sur les vies lesbiennes. Quelques semaines plus tard, le 31 octobre 1992 à New York, Les Lesbian Avengers, qui ont appris à cracher le feu, embrasent les rues du West Village jusqu’à un autel improvisé à la mémoire de Hattie Mae Cohens, une jeune lesbienne noire et de Brian Mock, un homme gay, brûlés vifs dans leur appartement de Salem dans l’Oregon, après le jet d’une bombe incendiaire, lors du dernier jour d’une campagne visant à faire voter une loi dans l’état classant l’homosexualité dans la catégorie « anormale, erronée, non naturelle et perverse ». En février 1993, à l’occasion de la la Saint-Valentin, les Justicières placent une effigie en plâtre de 3 mètres d’Alice B. Toklas près de la statue en bronze de sa compagne Gertrude Stein à Bryant Park et organise une fête autour du couple mythique enfin réuni. En juin 1993, après la première le succès de la première Dyke March à Washington, les Justicières apprennent qu’à Tampa, en Floride, la caravane d’une lesbienne, Dee DeBerry, été brûlée par des homophobes. Elles organisent alors une manifestation dans le centre-ville de Tampa pour faire savoir aux homophobes qu’elles ne laisseront pas leurs actions passer inaperçues et poursuivront leurs efforts sans relâche “jusqu’à ce que toutes les gouines soient vengées”. Entre-temps, des dizaines de milliers de lesbiennes ont répondu à leur appel, et le mouvement des Lesbian Avengers s’étend désormais à travers les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Irlande, l’Allemagne et la France. En tout, elles ont fondé une soixantaine de sections locales. En juin 1994, une caravane de Justicières traverse le Midwest en passant par Minneapolis, Lansing et Pittsburgh et une autre emprunte une route méridionale en provenance d’Austin convergeant vers un seul lieu : New York, où 20 000 lesbiennes vont manifester dans les rues à l’occasion de la deuxième Dyke March. Depuis, l’événement est célébré chaque année dans plusieurs villes dans le monde.

Extrait tiré du premier hors-série en papier de Jeanne Magazine – 50 ans de mouvements lesbiens à travers le monde que vous pouvez vous procurer en cliquant sur ce lien.

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