Le 17 mars, le tribunal de première instance de Sapporo a déclaré que le fait de ne pas ouvrir le mariage aux couples homosexuels était contraire à l’article 14 de la Constitution japonaise, qui stipule que « tous les citoyens sont égaux devant la loi« . Ce jugement est le premier à être rendu dans le cadre d’actions en justice contre l’Etat engagées le 14 février 2019 par 13 couples homosexuels dans les tribunaux de Tokyo, Nagoya, Osaka et Sapporo pour demander la reconnaissance de leur mariage dans l’archipel. Cette décision devrait accentuer la pression sur les parlementaires japonais en vue d’une légalisation du mariage pour tous, mais le chemin risque encore d’être long, le pouvoir au Japon, contrôlé par le Parti libéral-démocrate (PLD), une formation de droite conservatrice, freine des quatre fers sur la question depuis des années.
« J’appelle la Diète, en tant que branche législative de l’Etat, à délibérer sur une proposition d’amendement du code civil pour rendre possible » les mariages des couples de même sexe, a déclaré sur Twitter l’élue d’opposition Kanako Otsuji, la première membre parlementaire ouvertement lesbienne du Japon. À l’occasion de son premier hors-série, consacré aux 50 ans du mouvement lesbien autour du monde, Jeanne avait rencontré Kanako Otsuji, qui est depuis 2017 membre de la Chambre des représentants, sous l’étiquette du Parti démocrate constitutionnel et milite pour la légalisation du mariage des couples homos. Redécouvrez l’interview qu’elle nous avait accordé dans le cadre du premier hors-série de Jeanne Magazine.
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Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? Je suis Kanako Otsuji, je suis membre de la Chambre des représentants depuis 2017 sous l’étiquette du Parti démocrate constitutionnel du Japon. Je suis la première membre parlementaire ouvertement lesbienne du pays [ndlr : aucun autre élu politique n’était ouvertement LGBT]. J’ai fait mon coming out en 2005 alors que j’étais membre du Parlement de la préfecture d’Osaka et que je menais une campagne politique pour être élue à la Chambre des conseillers en 2007. En 2013, j’ai obtenu un poste de parlementaire, car le poste était vacant.
Cette année marque les 50 ans des émeutes de Stonewall. Que représente cet anniversaire pour vous ? Stonewall est un événement majeur du mouvement LGBT et cet anniversaire a bien sûr été célébré lors de la Tokyo Rainbow Pride qui a eu lieu le 28 avril ici, à Tokyo. C’était également l’occasion pour nous de célébrer les 25 ans de la première Pride au Japon. Stonewall, bien qu’au-delà de notre océan, nous a appris l’importance pour les minorités de sortir du rang, de prendre la parole et d’agir.
En 2005, vous avez publiquement fait votre coming out en publiant votre autobiographie Coming Out : A journey to Find My True Self, devenant ainsi la première élue ouvertement lesbienne. Comment vous sentiez-vous au moment de cet événement qui allait changer votre vie ? J’avais peur. J’étais effrayée à l’idée d’être harcelée ou discriminée suite à mon coming out. Et heureusement, je n’ai été victime d’aucun acte de violence directement, j’ai même reçu de nombreux messages d’encouragements et de remerciements de la part de la communauté LGBT. La discrimination prend la forme du silence ici au Japon. Mes collègues à l’Assemblée ne m’ont jamais parlé de mon coming out. Ça n’était simplement pas un sujet de conversation, comme si rien ne s’était passé. La cause LGBT n’était pas encore à l’ordre du jour dans la sphère politique, nous n’en étions encore qu’aux balbutiements de la visibilité LGBT et nous commencions à peine à aborder les problèmes rencontrés par la communauté LGBT. Le défi pour les élections nationales en 2007 était compliqué, car les voix étaient discordantes à mon sujet au sein du Parti démocrate du Japon, le parti politique auquel j’appartenais à l’époque. Je ne savais pas si j’allais pouvoir être certifiée pour mener campagne.
Étiez-vous alors consciente du fait que vous alliez devenir un exemple pour toute une communauté en quête de femmes auxquelles s’identifier ? J’avais en tête de créer une société meilleure, une société qui n’exclurait pas une personne pour la seule raison de son orientation sexuelle. J’avais aussi à l’esprit de montrer qu’une personne LGBT pouvait devenir candidate à une élection politique, pouvait même la gagner et servir son pays comme membre du parlement. Très récemment, en avril, une autre femme vient de faire son coming out en tant que lesbienne et a été élue dans une assemblée locale. Elle devient ainsi la deuxième politique japonaise ouvertement LGBT. Cela m’a pris 14 ans pour faire mon coming out, mais je me sens aujourd’hui très heureuse de l’avoir fait.
Comment diriez-vous que ce moment a changé votre vie aussi bien au niveau politique que personnel ? Être lesbienne est une chose naturelle pour moi, mais devenir une femme politique lesbienne m’a demandé beaucoup d’efforts jour après jour pour être acceptée. Ce fut très difficile d’obtenir le droit de concourir pour une élection au sein de mon ancien parti politique.
Pouvez-vous revenir sur quelques moments clef et fondateurs du mouvement lesbien au Japon ? Dans les années 90, trois lesbiennes ont fait ensemble leur coming out et en ont écrit un livre. Parmi ces femmes, la première était une militante, la seconde, une chanteuse et enfin la troisième était professeure. Ce qu’elles ont fait m’a donné beaucoup de courage et de force. Le mouvement féministe a, au fil des ans, généré un militantisme lesbien, c’est certain. Puis, de nombreux groupes et magazines ont été créés pour gagner petit à petit en visibililité. Et il serait impossible de ne pas parler de 2015, date à laquelle les certificats de partenariats civils ont été légalisés dans les quartiers de Shibuya-ku et de Setagaya-ku à Tokyo. Si je devais parler d’une personne qui m’a inspirée dans mon métier, j’évoquerais le nom de la sénatrice américaine Tammy Baldwin, que j’ai eu la chance de rencontrer lors d’une visite aux États-Unis.
Aujourd’hui vous êtes une fervente militante de la cause LGBT. D’après vous, que faudrait-il faire au Japon pour accorder plus d’égalité aux personnes LGBT ? Il faudrait que le parlement, en tant que législateur, vote des lois qui iraient dans ce sens. Nous, en tant que parti de l’opposition, avons conjointement soumis un projet de loi pour permettre d’éradiquer les discriminations LGBT et nous demandons au parti en place de délibérer à ce sujet. Parallèlement à cela, nous sommes en train d’écrire un nouveau projet de loi au sein du parti qui permettrait la légalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Le mariage entre personnes de même sexe pourrait alors être voté prochainement ? Si certaines villes procurent d’ores et déjà des certificats d’union, il est plus symbolique qu’autre chose, car il n’y a aucune garantie légale. C’est pourquoi je souhaiterais qu’on puisse légaliser ces unions assez rapidement à la Diète [ndlr : le parlement japonais] grâce au projet de loi que nous sommes en train d’écrire. Simplement le parti en place actuellement, LDP (parti libéral-démocrate), est contre ces unions, les membres de ce parti insistent en expliquant que cela détruirait la famille traditionnelle. Je pense que cette loi ne pourra être votée que si nous changeons de gouvernement ou bien si un jugement au tribunal statue sur le caractère inconstitutionnel de ce refus de légaliser le mariage entre personnes de même sexe.
Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur la plainte déposée le 14 février dernier contre le Japon par 13 couples homosexuels dans les tribunaux de, Tokyo, Nagoya, Osaka et Sapporo pour demander la reconnaissance de leur mariage dans l’archipel. Pensez-vous que cette plainte a des chances d’aboutir ? Je pense que cela va être une bonne opportunité pour le tribunal de rendre sa décision. Je ne sais pas encore si la cour va statuer sur une inconstitutionalité ou non, mais les plaignants demandent aujourd’hui réparaton pour inaction politique auprès de la Diète. C’est donc une remise en question du parlement. C’est pourquoi je compte dès ce mois de juin soumettre le Marriage Equality Act à la Diète pour obtenir une réponse positive issue de ce procès.
La presse fait actuellement l’écho d’un problème grandissant au Japon suite à la vague d’outing qui s’opère actuellement et qui est à relier au proverbe japonais « le clou qui dépasse doit être enfoncé à coups de marteau ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Il y a toujours existé une pression très forte dans la société japonaise pour ne pas sortir des normes, mais un clou qui dépasse très excessivement ne peut pas être enfoncé à coups de marteau. En effet, les jeunes acceptent de plus en plus les personnes LGBT, ces questions ne font plus tant de débat parmi eux. Le problème majeur est que le taux de participation aux différentes élections de notre pays est très bas dans cette tranche d’âge, alors qu’ils auraient les moyens de voter pour les personnes qui pourraient faire évoluer notre société. Le challenge aujourd’hui reste à trouver la manière d’attirer ces jeunes vers les urnes pour qu’ils puissent faire entendre leur voix.
Quelle est la prochaine étape pour le mouvement lesbien japonais ? Alors que quelques couples LGBT commencent à avoir des enfants, la génération qui a ouvert le chemin au mouvement LGBT dans les années 80 et 90 commence à vieillir. Par exemple, il n’existe pas de Dyke March au Japon. Je pense qu’il est primordial aujourd’hui de lier le mouvement lesbien d’hier, d’aujourd’hui et de demain pour une meilleure cohésion et donc efficacité.
Article initialement publié dans le Jeanne Magazine hors-série #1.
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