Le 11 octobre dernier, à l’occasion de la journée internationale du coming out, Pavel Loparev, le cofondateur d’illuminator.info, un projet numérique russe dédié aux parents d’enfants LGBT, a lancé le premier épisode d’une mini-série consacrée aux adolescents qui ont révélé leur homosexualité à leurs parents. L’occasion pour Jeanne d’en savoir plus sur la situation des jeunes LGBT qui vivent en Russie, un pays qui punit, depuis 2013, la « propagande homosexuelle » auprès des mineurs. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro #80 de Jeanne Magazine.
Illuminator.info est conçu comme une ressource pour les parents d’enfants LGBT. Comment avez-vous eu l’idée de créer ce projet ? (…) A un moment, en tant que réalisateur de documentaires, je me suis dit qu’il serait utile d’utiliser mes connaissances et mes outils pour créer un projet qui serait profitable aux parents d’enfants LGBT. Je souhaitais que ce projet puisse être une base de données d’informations utiles et positives à propos de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre pour que le coming out de leur enfant soit un processus plus conscient, agréable et moins douloureux. J’ai partagé cette idée avec mon amie et collègue Irina Khodyreva qui a tout de suite été partante ! Cela nous a pris deux ans pour mettre sur pied le premier module d’interviews avec des experts, car il a fallu lever des fonds, faire un travail de recherches pour trouver les bonnes personnes à contacter, et développer le site internet qui a vu le jour en mai 2017. Sur une note plus personnelle, travailler sur ce concept m’a permis de faire mon coming out auprès de ma mère un peu avant qu’illuminator.info existe en ligne. Elle n’a pas été surprise, mais cela fut dur pour elle. Nous avions l’un et l’autre beaucoup de mal à parler ensemble de mon homosexualité. Alors j’ai décidé de me servir de ce projet pour nous rapprocher, je lui ai demandé si elle pouvait nous aider en regardant les premières interviews d’experts que nous avions filmées pour nous donner son avis. Elle a regardé toutes les vidéos, a pris des notes et nous nous sommes retrouvés régulièrement à l’occasion d’appels vidéo pour qu’elle nous fasse part de ses remarques. Et cela a fonctionné : elle est devenue mon alliée et cela a clairement renforcé notre relation, aujourd’hui bien plus forte qu’avant. Je peux donc personnellement constater qu’illuminator.info peut aider les parents à mieux comprendre et accepter leurs enfants LGBT. En février 2018, nous avons publié un deuxième module de vidéos comprenant une série de courts documentaires dans lesquels des parents d’enfants LGBT partagent leur expérience. Le troisième module consacré, lui, aux jeunes LGBT qui reviennent sur leur coming out auprès de leurs parents est encore en cours de développement. A l’occasion de la journée du coming out cette année, le 11 octobre, nous avons diffusé le premier épisode de cette mini-série et les retours sont très encourageants.
La Russie, avec sa loi sur la « propagande homosexuelle » devant mineurs , est considérée comme un endroit hostile pour les personnes LGBT. Comment vivent concrètement les jeunes LGBT ? Être un adolescent en Russie n’est pas facile, mais y être un adolescent LGBT est encore plus difficile. Il faut comprendre qu’aujourd’hui seul 1 ado sur 5 qui fait son coming out auprès de ses parents est accepté (ces données ont été récoltées de manière anonyme lors de la création du documentaire Children 404). Dans le meilleur des cas, l’enfant ne reçoit aucun soutien de la part de ses parents, et dans la pire des situations, qui n’est malheureusement pas rare, il est battu par ses parents ou chassé du domicile familial. Cette loi absurde sur la “propagande homosexuelle” devant mineurs, qui est soutenue par des médias contrôlés pour la plupart par le gouvernement, crée un climat de peur et de haine dans la société et les victimes sont malheureusement les ados LGBT qui sont sans défense. Heureusement, Internet permet aujourd’hui à ces jeunes de trouver un peu d’aide par le biais de groupes de soutien, de bloggueurs, de films et de séries.
Malgré le fait que Vladimir Poutine et son gouvernement soient très clairement homophobes, avez-vous pu remarquer une évolution de la situation au sein de la population russe ces dernières années ? Je ne pense pas que les Russes soient homophobes, mais ils sont victimes de la propagande gouvernementale, du manque d’informations à propos de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre et du manque de représentation positive de personnes ouvertement LGBT. La loi sur la “propagande homosexuelle” est atroce mais elle a rendu service à la communauté LGBT russe dans le sens où elle lui a permis de s’unir, de se former et de se développer. Bien sûr les Russes LGBT sont confrontés à de nombreux problèmes et beaucoup de choses doivent changer. De l’opinion publique aux lois, le travail à réaliser est colossal, mais jamais auparavant la communauté LGBT russe n’a été aussi active et aussi forte : il y a aujourd’hui des associations LGBT engagées dans la protection des droits humains, d’autres qui œuvrent pour le quotidien des personnes LGBT, et d’autres encore qui développent des initiatives culturelles et éducatives. (…)
Il est certain qu’en lisant les témoignages publiés sur illuminator.info, on découvre une autre facette des Russes vis-à-vis des personnes LGBT, plus acceptante et tolérante. Comment avez-vous contacté les familles qui apparaissent sur le site ? Ce fut très difficile de trouver des parents qui seraient suffisamment ouverts d’esprit pour partager leur expérience et expliquer ce qu’ils ont ressenti au moment du coming out de leur enfant. Nous avons fouillé tous les recoins d’internet, nous avons cherché pendant plusieurs mois des sujets relatifs à l’homosexualité dans les forums de parents militants, nous avons contacté les associations LGBT et avons demandé à nos amis et à leurs connaissances. Il était primordial pour nous de montrer un large éventail de réactions des parents dans ce que peut composer la palette de l’acceptation. Nous souhaitions filmer des personnes qui venaient juste d’apprendre que leur enfant est LGBT avec tout ce que cela comprend de doutes et de questions et aussi filmer des parents qui en avaient fini avec ce processus et qui aujourd’hui acceptent totalement leur enfant. (…)
Le premier module du projet, vous nous l’expliquiez, permettait à des experts (psychologues, sociologues…) de répondre aux questions que se posent les parents à propos de leur enfant LGBT. Pouvez-vous partager avec nous les questions les plus récurrentes ? Quelles sont les peurs ou les obstacles que rencontrent les parents sur la route de l’acceptation de leur enfant ? En parallèle de ces discussions avec des experts, nous avons également réalisé une étude et un sondage auprès des parents. Nous avons contacté des associations de parents d’enfants LGBT (bien que cela ne soit pas courant en Russie) pour finalement réussir à contacter de nombreuses personnes ici en Russie mais aussi en Ukraine, en Biélorussie et en Moldavie. Nous leur avons toutes posé les mêmes questions à savoir de lister les 10 peurs qu’elles ressentent et les questions qui tournent en boucle dans leur tête après le coming out de leurs enfants. Nous nous sommes servis de leurs réponses comme d’une base pour formuler nos questions aux experts. Les questions étaient toutes plus ou moins identiques : Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous ? Quelle faute avons-nous commise ? Peut-être nous sommes-nous trompés quelque part en tant que parents ? Est-ce que cela peut se guérir à l’aide d’un traitement adapté ? Est-ce qu’il ne peut pas s’agir de séduction uniquement ou est-ce peut-être dû à l’influence d’une personne ? Nous ne pourrons donc pas être grand-parents ? Que vont dire le reste de la famille, les amis ou les voisins ? Comment cela va-t-il impacter la vie de notre famille ? Comment notre enfant va-t-il pouvoir évoluer dans cette société homophobe ? Comment pouvons-nous le protéger ? Des questions qui, selon les psychologues, tournent autour de 6 axes majeurs en commençant par le choc initial, le déni, la dépression pour finalement aller sur le chemin de l’acceptation, ce qui est le cas de la très grande majorité de parents.
(…)
Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #80 de Jeanne Magazine.
Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100% lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100% indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à acheter le magazine à l’unité, à commander votre exemplaire papier du premier hors-série ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !