A Nice, Marie et son épouse ont lancé en juin dernier Les Culottées. Une nouvelle association féministe et lesbienne qui compte bien promouvoir la culture et la visibilité lesbienne en recréant des liens de solidarité et de sororité. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 79 de Jeanne Magazine.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous en dire plus sur votre expérience avec le milieu associatif LGBT ? Nous sommes des militantes LGBT+ et féministes depuis plusieurs années. D’abord investies auprès du Centre Lgbt Côte d’Azur, nous avons ensuite rejoint l’association Polychromes à Nice où nous avons été très actives durant 9 années. Nous avons principalement œuvré dans le cadre du festival régional LGBT+ ZeFestival, jusqu’à l’année dernière, et créé des ponts avec de nombreuses associations LGBT+ que nous connaissons bien. En 2020 nous avons tourné la page pour nous consacrer aux femmes lesbiennes, féministes, et amies. C’est ainsi qu’est née l’association Les Culottées.
En juin dernier, vous avez lancé Les Culottées, une nouvelle association féministe et lesbienne. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui ont motivé cette initiative ? Durant ces nombreuses années de militantisme LGBT+ nous avons dû régulièrement « négocier » l’image des femmes sur les affiches, les programmes, les messages, leur représentativité au sein des instances dirigeantes… Cela a été très souvent des sujets de discussions qui frôlaient parfois l’absurde, dans une logique implacable : les femmes secrétaires ok, mais présidentes, non. L’invisibilisation des femmes dans le milieu LGBT+ est une réalité qu’il faut bien admettre. Il est une chose commune aux hommes, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, c’est qu’ils restent des hommes construits dans une logique de domination patriarcale. Ce n’est pas toujours conscient chez eux, et quand ça l’est, ils s’en fichent un peu. Il y a une tendance profonde et ancienne à la prédominance du genre masculin. Disons que la société s’est construite sous cette forme et aujourd’hui toutes les femmes doivent absolument œuvrer à inverser ces déséquilibres. Ce sexisme est doublement appliqué aux femmes homosexuelles qui subissent généralement la double peine, en tant que femmes d’une part, et en tant que lesbiennes d’autre part. Nous le voyons moins aujourd’hui, mais pendant longtemps les lesbiennes dans les films étaient soit des alcooliques, soit des droguées et, dans tous les cas, finissaient toujours par mourir, effacées. Les deux piliers fondateurs de l’association Les Culottées sont : solidarité et sororité. Ces deux piliers en feront un troisième : celui de la force. Nous distinguons bien « solidarité » et « sororité » parce que les mots et le langage influencent considérablement la place des femmes. Il y a dans le mot sororité, comme dans le mot fraternité, une notion d’amour, de lien fort, que l’on ne retrouve pas dans la solidarité. La société patriarcale a attribué aux femmes l’expression « solidarité féminine », en lieu et place du mot fraternité. Il est aisé de remarquer que le mot « sororité » fait toujours débat dès qu’il essaie de retrouver sa place, alors qu’il existe depuis le Moyen Age ! Le mot « fraternité » n’a pas un genre neutre. Il est masculin. Il dénonce à lui tout seul la suppression des femmes dans la citoyenneté, et la devise de la République Française, votée au moment de la Révolution. Pour les révolutionnaires, le choix du terme « fraternité » est la raison d’être de l’égalité en droit entre les hommes… mais sans les femmes ! Le citoyen est ainsi devenu une émanation de l’homme et des droits de l’homme. Le mot fraternité est bien un mot qui se réfère au masculin et les femmes en sont implicitement exclues. Il est un symbole fort de la condition des femmes invisibilisées. Le mot sororité doit légitimement reprendre sa place. Il semble difficile de ne pas citer Olympe de Gouges qui publia en 1791 la Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne, deux ans après celle des droits de l’homme. Elle appela ses concitoyennes à faire leur propre révolution. Arrêtée le 20 juillet 1793, alors qu’elle placardait elle-même ses affiches, elle est condamnée à mort et exécutée le 3 novembre 1793. C’est une des rares femmes à avoir été exécutée pour la publication d’écrits politiques. Elle incarne toute la violence infligée aux femmes libres qui refusent l’oppression propre à leur genre et qui partent d’un constat évident, les femmes doivent lutter ensemble, entre sœurs, dans la diversité, et en faisant fi de leurs différences. C’est l’ambition même de la sororité. (…)
Vous êtes actuellement à la recherche de référentes à travers le pays pour développer l’hébergement militant. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cet hébergement militant et quelles seraient les missions qu’auraient à effectuer les référentes ? L‘hébergement militant est une clé importante de nos échanges. C’est un lien que nous voulons tisser peu à peu pour faciliter les rencontres entre nous, comme accueillir des voyageuses et adhérentes qui se déplacent. Les Culottées s’organisent autour d’un réseau national et international par ville, et/ou par région, quel que soit le pays. C’est un projet très ambitieux. Nous avons organisé un week-end en Provence les 10 et 11 octobre 2020, par exemple. Une de nos adhérentes nous a accueillies dans sa grande maison en plein campagne provençale. Nous sommes venues en mode « auberge espagnole » et avons passé un moment exceptionnel, de déconnexion totale, juste entre filles. Notre hôtesse nous avait préparé un programme libre de visites de sites, et de flâneries. Nous avons parlé projets ensemble aussi. Dans notre réseau de référentes nationales et internationales, nous avons déjà des points d’attache à Barcelone ! Et bientôt à Berlin. Les référentes sont des points d’ancrage pour les adhérentes qui voyagent. Elles peuvent les guider, les aider. Il y a plusieurs référentes par secteur. Ce qui permet d’avoir toujours une référente disponible pour répondre à une voyageuse, si les autres ne sont pas disponibles. Les référentes s’engagent à être éloignées de toute structure qui véhiculerait des discriminations de toutes sortes, ou qui porterait atteinte aux femmes et à l’ensemble de la communauté Lgbt+. Elles doivent apporter une attention particulière à un accueil toujours chaleureux entre les membres, dans les échanges et les sorties. Nous voulons créer un espace féminin et préservé. Un sas de détente dont nous avons toutes tellement besoin. Les femmes ne se construisent pas dans la violence, celle qui est imposée aux garçons dès l’enfance, comme un critère de virilité. Les femmes souffrent dans cet environnement violent, et menaçant. Pour nous, chaque femme est importante. Nous souhaitons aussi que chacune s’investisse comme elle le peut, veut, régulièrement ou ponctuellement, en proposant ses compétences personnelles, professionnelles, ses talents, ses envies… Il y a une structure très légère dans notre association. (…)
Quels sont vos souhaits pour la communauté lesbienne dans son ensemble ? Nous voulons que la communauté lesbienne devienne puissante, qu’elle devienne un groupe d’influence important. Assez pour que plus personne ne vienne remettre en cause nos droits, nos libertés, nos corps, et que nous soyons enfin reconnues au sens de l’article 1er de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Les droits des lesbiennes sont évidemment indissociables des droits des femmes. Tous ces droits sont si fragiles, c’est tout à fait insupportable. Il faut se rappeler que si les femmes ont acquis aujourd’hui tous les droits, elles doivent encore se battre pour l’application de ces droits ! Nous finirons par gagner notre pleine citoyenneté, parce que nous allons nous unir.
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Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #79 de Jeanne Magazine.
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