Apple TV+ a décidé d’offrir une dizaine de séries disponibles sur sa plateforme de streaming, notamment Dickinson, dont Jeanne vous parlait dans un précédent numéro. C’est l’occasion de découvrir cette série très réussie !
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(Re)découvrez ici l’article que nous avions consacré à la série, initialement publié dans le numéro 70 de Jeanne Magazine.
Dickinson, une série moderne et addictive
Emily Dickinson n’a jamais été autant dans l’air du temps. Alors que Wild Nights with Emily était présenté au Festival Chéries-Chéris en novembre dernier, Apple TV+ mettait également la poétesse américaine à l’honneur avec la série Dickinson créée par Alena Smith. Le point commun entre les deux œuvres ? Elles évoquent toutes les deux la relation passionnelle entre Emily et sa belle-sœur Sue Gilbert. Une histoire traitée avec beaucoup d’humour et de sensibilité dans Dickinson, qui joue la carte de la série pour ados tout en revisitant ses codes. Cela donne une première saison addictive, portée par la géniale Hailee Steinfeld, que l’on vous recommande vivement.
Un univers anachronique, pop et résolument queer
En s’intéressant à la personnalité singulière d’Emily Dickinson, Alena Smith a choisi de s’éloigner d’une série biopic traditionnelle et austère pour proposer à la place des épisodes à la modernité saisissante. Ne soyez donc pas surpris par les anachronismes ou les « bro » et autres « dude » que se lancent les personnages, Dickinson ne cherche pas à retranscrire fidèlement la vie de la poétesse mais privilégie à la place une relecture pop de son destin.
La série assume jusqu’au bout son côté décalé en alternant les tubes de Billie Eilish, Lizzo ou encore A$AP Rocky pour dynamiser ses scènes. Le 19e siècle prend soudain des allures de 21e siècle où les ados du village d’Amherst profitent par exemple de l’absence des parents d’Emily pour organiser une immense fête et prendre de l’opium en twerkant jusqu’au bout de la nuit. Si de prime abord, on peut craindre une série pour ados tape-à-l’œil et sans grande originalité, il n’en est rien. Dickinson réussit très vite à nous captiver en proposant une galerie de personnages attachants, queer et drôles – Jane Krakowski dans le rôle de la mère d’Emily est hilarante – qui réinventent les clichés éculés du genre. Ce n’est pas toujours très subtil, on vous l’accorde, mais le charme opère instantanément.
Emily et Sue
Lorsque la série débute, Emily Dickinson, brillamment interprétée par Hailee Steinfeld, est une ado rebelle qui se sent prisonnière de la grande maison de ses parents. Elle ne veut pas se marier, au grand désespoir de sa mère, et désobéit à son père qui voit d’un très mauvais œil ses talents d’écriture. Elle est celle que l’on prend pour une freak et qui préfère de loin la solitude ou la compagnie d’un arbre centenaire. Mais il y a une personne qu’elle pourrait ne jamais quitter, c’est Sue Gilbert, sa meilleure amie qui va épouser son frère Austin et ainsi devenir sa belle-sœur.
Le premier épisode donne le ton, la série ne s’embarrassera d’aucun tabou et n’hésitera pas à montrer l’histoire d’amour contrariée entre Emily et Sue. Jeux de regards, baisers volés, déclarations enflammées et confidences sur l’oreiller, les deux jeunes femmes sont faites l’une pour l’autre. L’alchimie évidente entre Hailee Steinfeld et Ella Hunt ne fait d’ailleurs que confirmer notre impression. Mais qu’en était-il pour la véritable Emily Dickinson ? La série se permet évidemment des libertés puisque la liaison entre Emily et Sue n’a jamais été officiellement confirmée. On sait tout de même que les deux amies se sont rencontrées dans les années 1840 et ont entretenu une très longue correspondance – on recense plus de 300 lettres – qui témoignait d’une relation plus que fusionnelle. Jugez plutôt : vers 1852, Emily écrivait à Sue : « Qui t’aime le plus, et t’aime le mieux, et pense à toi quand les autres dorment oublieux ? C’est Emily. » Des mots puissants et équivoques.
Une icône féministe
Alena Smith ne s’est pas contentée de mettre en images les lettres de la poétesse et d’en retranscrire sa propre interprétation. La showrunneuse a également eu la bonne idée d’utiliser les poèmes d’Emily Dickinson comme fil rouge de la saison, chaque titre d’épisode correspondant à un de ses vers. Ses écrits nous permettent de percevoir davantage les nombreux démons qui cohabitent avec la jeune femme. La mort faisait partie de ses sujets de prédilection, à tel point que la série l’a personnifiée et a choisi Wiz Khalifa pour l’incarner, chapeau haut de forme vissé sur la tête et sceptre à la main. Vêtue d’une longue robe rouge, Emily monte dans le carrosse funeste de la mort sans en avoir peur et flirte même avec elle dans une scène hautement symbolique.
Derrière sa modernité, le personnage d’Emily souffre de ne pas pouvoir vivre de son art au grand jour. Son père la défend de publier ses poèmes et la conjure de ne pas lire les livres qu’il lui offre pourtant lui-même. La série fait alors d’Emily Dickinson une icône féministe qui brave les interdits et va même jusqu’à s’habiller en homme pour se rendre à la lecture d’un célèbre vulcanologue. Cette liberté qu’elle revendique se heurte aux mœurs de l’époque qui l’enferme dans une vie qu’elle n’a pas choisie. Les mots deviennent alors sont seul refuge et sa seule arme de résistance, et c’est là que la série prouve son intelligence.
Dickinson a donc le mérite de remettre l’œuvre dense et brillante d’Emily Dickinson sur le devant de la scène et de nous donner envie d’en savoir plus sur cette figure majeure de la poésie qui n’a connu le succès qu’après sa mort. Si vous trouvez que 10 épisodes ne sont pas assez pour parcourir sa vie, pas d’inquiétude puisque la série est déjà renouvelée pour une saison 2 sur Apple TV+.
par Fanny Hubert
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