Après son essai Identités lesbiennes, en finir avec les idées reçues, où elle déconstruit les clichés et autres stéréotypes sur l’homosexualité féminine Stéphanie Arc nous présente Quitter Paris. Un premier roman bourré de références littéraires, scientifiques et cinématographiques, qui, outre les hésitations de la narratrice à quitter sa vie tumultueuse dans la capitale, évoque une histoire d’amour entre femmes. Un régal ! Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.
Si Quitter Paris est ton premier roman, tu écris depuis de nombreuses années. Peux-tu nous expliquer comment tout cela a commencé ? En fait, cela a commencé par… la lecture du Club des Cinq [Rires], que mon père me racontait avant de m’endormir ! Je devais avoir 5 ans, et c’est là, je crois, qu’est née ma fascination pour les livres et pour les mots. Ma mère, qui fut mon institutrice en CM1, m’a aussi transmis son amour pour la langue française en m’enseignant « à l’ancienne » l’orthographe, le vocabulaire, la conjugaison et la grammaire. Très tôt j’ai adoré écrire, d’abord des histoires (de pirates et de hobbit car j’étais fan de science-fiction) au collège, puis des « dissertations », qui m’ont éloignée de la fiction. Après avoir fait des études de philo, j’ai décroché mon premier emploi dans une grande maison d’édition. Mais je ne me sentais pas heureuse : et pour cause, sans le savoir, je voulais devenir auteure, et pas éditrice ! Je suis alors entrée au Journal du CNRS, où j’ai appris le journalisme scientifique, un métier que j’adore. Mais quelque chose me manquait toujours : je voulais publier des livres. Lorsque, en 2005, j’ai su que les éditions du Cavalier bleu cherchaient une auteure pour Les Lesbiennes[1], un petit essai qui déconstruit les préjugés sur l’homosexualité, j’ai proposé un synopsis qui a été accepté… Puis, pendant une dizaine d’années, j’ai étudié les questions de genre, d’orientation sexuelle. C’est en 2016, en lisant le roman Que font les rennes après Noël ?, d’Olivia Rosenthal, que j’ai découvert l’existence du master de création littéraire de l’université Paris 8 (créé par Olivia Rosenthal, trois ans avant), un master qui offre un cadre et un accompagnement à celles et ceux qui ont un projet d’écriture littéraire. À 40 ans, j’ai donc décidé de m’inscrire pour réaliser mon rêve d’enfant : un roman !
Comment s’est construit ton roman et quelle en est la genèse ? Tu a rassemblé par exemple une multitudes de données, d’informations méconnues, parfois aussi des citations tirées de sites Internet ou encore de l’émission de télé Man vs. Wild… J’écris spontanément sur ce qui me pose problème, sur ce qui est au cœur de mes préoccupations. En l’occurrence, j’avais de plus en plus de mal à supporter la capitale où je suis installée depuis vingt ans mais où me manquent la nature, l’espace, le calme, un plus grand confort de vie. Pourtant je ne parviens pas à en partir car il y a aussi des choses que j’adore à Paris : la vie LGBT, la liberté, l’infinité des possibles, les théâtres, les bibliothèques, les musées, la Maison de la poésie, les cinémas, les journaux pour lesquels je travaille, et mes ami-e-s aussi. J’ai Paris dans la peau même si c’est une ville épuisante, dure, qui oblige à beaucoup de sacrifices. La narratrice fait des rêves (elle voudrait un chien, elle aime les sports de plein air, elle s’imagine une vie à la campagne), elle se demande comment les réaliser, mais au fond, elle procrastine, elle recule, parce que c’est dur de se lancer, de tout recommencer ailleurs. Le titre Quitter Paris m’est venu tout de suite, ainsi que le sujet : l’indécision, la difficulté de s’enraciner dans un lieu où on n’est pas né, la peur de quitter ce qui nous est familier, ce qui nous est cher, pour l’inconnu, même lorsqu’on sait qu’on est arrivé au bout de quelque chose. Je voulais toutefois en parler avec beaucoup d’ironie et d’autodérision pour ne pas « plomber l’ambiance ». Je me suis dit que je n’étais sans doute pas la seule dans ce cas et j’avais envie d’aider un peu les autres grâce à l’humour. Du point de vue du style, je tenais aussi à exprimer deux choses : d’une part, l’indécision comme une forme de procrastination mentale (une solution à un problème amène un nouveau problème…), comme un raisonnement en boucle, et de l’autre, la dispersion de l’attention liée au fait que nous sommes constamment connectés à Internet via nos smartphones, nos ordinateurs… Quand j’écris, et même quand je vis [Rires], je passe énormément de temps sur Google, à chercher des informations de toutes sortes, à consulter des forums, à me renseigner pour savoir comment on fait ça ou ça : ma narratrice est aussi ultra connectée, et c’est pourquoi l’histoire est souvent « interrompue ». C’est sans doute un réflexe de journaliste. Mais j’avoue, j’ai une passion pour Man Vs Wild : apprendre à faire du feu avec un silex ou à fabriquer son hamac en feuilles de bananier, on ne sait jamais, ça pourrait servir !
La philosophie avec Aristote et Jean-Jacques Rousseau, les sciences avec Ada Lovelace et Alan Turing, la littérature et la poésie avec Marguerite Duras et Verlaine, ce premier roman est aussi l’occasion pour toi d’aborder de nombreux thèmes qui te sont chers… En écrivant Quitter Paris, je me suis sentie beaucoup plus libre que lorsque je rédige des articles de presse ou théoriques, et cela m’a vraiment exaltée. Quand on crée un texte littéraire, on a très peu de contraintes, ou plus exactement, on se donne ses propres contraintes. On peut faire ce qu’on veut, ce qui nous plaît, produire une forme nouvelle, faire intervenir n’importe quel personnage, dire la vérité ou mentir, inventer une langue : tout est question d’écriture et d’imagination. (…)
La narratrice est en couple avec une femme, en quoi était-ce important pour toi de parler de cette relation ? Tout de suite, c’est le « Je » qui s’est imposée. Or le français est une langue genrée, puisque le neutre n’existe pas : on n’est obligé de choisir. Ce « je » allait-il être une femme ? Il m’a paru évident que oui. Depuis des années, spontanément, je lis plus volontiers des œuvres signées par des femmes (Olivia Rosenthal, Noémi Lefebvre, Emmanuelle Pireyre, Julia Deck, Nathalie Quintane, ou Nathalie Léger), qui parlent de femmes, avec lesquels je me sens en plus grande communauté de pensée et d’expérience sociale. Il y a bien eu un moment, au début, où j’ai pensé brouiller les genres (et donc les sexualités) : écrire un texte où l’on ne pourrait pas identifier le genre de la personne qui parle, un peu à l’image du roman d’Anne Garréta, Pas un jour. Mais c’était une contrainte formelle trop forte pour moi, car elle m’interdisait d’utiliser certains mots, verbes ou adjectifs, qui trahissent le sexe du narrateur ou de la narratrice. Or je voulais être libre d’employer les mots qui sonnent le mieux dans la phrase, par leur rythme ou leur sonorité. Dans cette même logique, l’histoire d’amour lesbienne m’est apparue comme une évidence parce que cela fait partie de mon univers, de mon quotidien, au-delà du fait que je milite depuis des années contre l’invisibilisation des relations entre femmes. C’était sans doute une façon de visibiliser l’amour lesbien, et de m’inscrire dans une lignée de textes littéraires qui ont énormément compté pour moi mais aussi pour la communauté et la culture lesbiennes : Colette, Violette Leduc, Monique Wittig, Jocelyne François, Nina Bouraoui, Ann Scott, Wendy Delorme, etc. Le rôle de la littérature est aussi de témoigner de nos existences.
(…)
[1] – Les Lesbiennes (2006) a été réactualisé en 2015, sous le titre Identités lesbiennes. En finir avec les idées reçues, éd. du Cavalier bleu.
Quitter Paris de Stéphanie Arc, paru aux Editions Rivages.
-> Jeanne Magazine #73 – mars 2020
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