Quelle est la relation entre les personnes LGBT et le véganisme ? Qu’est-ce que cela signifie d’être queer et vegan ? Quel est le lien qui existe entre les femmes et le mouvement antispéciste ? Autant de questions que Jeanne Magazine a posé à Leah Kirts, journaliste et coproductrice de l’émission de radio Food Without Border, qui aborde des thèmes aussi variés que la nourriture, la politique, l’identité et à Corey Lee Wrenn, maître de conférence spécialisée en Droit Animalier, qui a fondé le Vegan Feminist Network. Extrait de la rencontre avec Leah Kirts publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.
Vous êtes à l’origine d’un projet qui a pour but de mieux comprendre la relation entre les LGBT et le véganisme. Pourquoi avoir choisi de travailler sur cette corrélation très spécifique ? Je suis devenue vegane en 2009, un an avant d’entrer à l’université et de découvrir l’existence de la Théorie critique et de plonger dans la littérature féministe. Ce que je lisais à propos des LGBTQ résonait avec mon expérience en tant que végane. Les principes de la libération animale sont évidents et correspondent avec les thèmes queer et l’écoféminisme : ils partagent cette volonté, voire responsabilité, de s’occuper les uns des autres tout en défiant les systèmes en place qui refusent à certains humains et aux animaux la possibilité de vivre librement et sans souffrance. Le livre canonique de Carol J.Adam The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory, critique la sexualisation des animaux et l’animalisation des femmes dans les mythes patriarcaux des omnivores mais cette analyse ne s’arrête pas sur la question queer. En 1997 Greata Gaard a, quant à elle, écrit sur l’écoféminisme queer et il y a aussi ce refuge animal créé et géré par un couple de lesbiennes, Pattrice Jones et sa femme, Miriam Jones, qui est l’incarnation de la libération animale par les queers, Vine Sanctuary. Mais en dehors de la niche très pointue des militants et du cercle académique, il n’y a pas beaucoup d’informations disponibles sur le sujet. J’ai pourtant noté au fil des ans combien l’homophobie et la misogynie sont utilisés communément comme des outils pour anéantir et discréditer le véganisme. On peut le voir assez fréquemment dans les publicités, les blagues usent aussi de ces ressorts et la culture pop en général. Même certaines personnes que je connais appellent les hommes des « pédés » s’ils décident de ne plus manger de viande et appellent les femmes des lesbiennes écolos si elles choisissent de boire du lait de soja. En fait, lorsque ma famille a appris que j’étais végétarienne, l’un de mes oncles a lâché spontanément un « eh bien moi je ne suis pas gay, je ne mange pas de tofu ». Ce commentaire m’a complètement sidérée et je souhaitais explorer le concept sous-jacent à cette remarque.
Aux personnes que vous avez rencontrées dans le cadre de ce projet, vous posiez la question suivante : « qu’est-ce que cela signifie d’être queer et végan ? ». Quelle serait votre propre réponse à cette question ? En tant que queer bisexuelle, je me questionne sur ce que la société m’a dit que je pouvais être. En tant que végane, je me questionne sur ce que la société m’a dit que je devais manger. Être queer et végane signifie que je m’identifie à la lutte intrinsèque pour la liberté que doivent mener à la fois les êtres humains et les animaux et j’essaye d’ébranler la société cishétéro patriarcale capitaliste avec des actes queer radicaux d’empathie.
Pouvez-vous revenir sur le moment où vous avez choisi d’opter pour un régime alimentaire dépourvu de produits d’origine animale ? En 2009, un ami m’a prêté un livre qui examinait les arguments religieux et éthiques contre le fait de manger de la viande et qui, par ailleurs, investiguait sur l’industrie alimentaire animale comme à travers l’étude des élevages, des safaris de chasse, de la pêche à la baleine ou encore de la chasse qui a lieu chaque année dans nos campagnes. J’ai très rapidement arrêté de manger de la viande après cette lecture car j’étais devenue consciente de l’énorme souffrance que ces industries engendrent aux animaux qui ont pour but d’être transformés en nourriture en les tuant bien souvent dans d’horribles conditions voire, pour les safaris, en les tuant par amusement. Je pourrais même dire que j’en avais perdu l’appétit. Durant l’année qui a suivi, j’ai poursuivi mon apprentissage sur le sujet et je me suis renseignée sur l’industrie du lait et des œufs, et je suis alors devenue végane. Ça n’a pas été facile car je ne savais pas comment cuisiner vegan sans utiliser de produit d’origine animale à aucun moment dans mes recettes. Et puis je ne connaissais aucune autre personne végétarienne dans mon entourage, alors végane, n’en parlons pas. J’ai appris à me nourrir parfois en faisant des erreurs, et en parallèle ma famille et mes amis se moquaient de ma façon de manger qui n’était pas la leur. Ils appelaient cela de la nourriture à lapins, à oiseaux ou encore de la nourriture pour hippie. J’ai grandi dans le centre ouest des Etats-Unis, autant dire que la viande était au centre de nos repas. Cette viande ne venait pas de l’industrie alimentaire mais plutôt des cochons, vaches et poulets que ma famille élevait ou bien encore des cerfs et poissons qu’ils allaient chasser et pêcher. Je dois d’ailleurs avouer que j’ai pris part à ces événements en tant qu’enfant. Alors arrêter soudainement de manger des animaux était vu comme très clivant. Ils me demandaient régulièrement si j’allais bien, combien de protéines je mangeais par jour, et pourquoi je refusais de manger de la viande, du lait ou des œufs. Bizarrement, il ne m’a jamais traversé l’esprit de leur demander pourquoi eux, choisissaient de manger de la viande et quel était leur niveau de vitamines consommées chaque jour. De manière défensive, ils m’expliquaient que leur régime alimentaire était, lui, naturel et normal et qu’ils avaient la chance de posséder un très grand domaine familial, ce qui, d’après eux, leur donnait la possibilité d’élever ces animaux, de les manger, de les porter en vêtement, et d’être amusés par tous ces animaux sans ressentir aucun scrupule éthique. Cette idéologie, c’est ni plus ni moins que le spécisme. Leurs arguments en faveur du spécisme me rappelaient ceux exprimés par les homophobes, les sexistes et les racistes. Il y a la même excuse au cœur de cette idéologie : un droit auto-proclamé de discriminer quiconque n’est pas un homme blanc cisgenre et hétéro.
Diriez-vous que vous avez pris le même chemin intérieur pour comprendre et accepter votre bisexualité ? Tout à fait ! Je n’ai pas été à l’école mais j’avais des cours à la maison, j’ai été élevée dans une famille très conservatrice aux valeurs fondamentalistes évangéliques dans laquelle, par exemple, l’avortement et le soi-disant Agenda Gay étaient des soucis sociétaux très importants. Je me souviens avoir été attirée par une de mes amies à un très jeune âge et avoir été curieuse sexuellement parlant, mais la rigidité religieuse dans laquelle j’ai grandi et l’homophobie qui régnait dans ma famille m’ont rendu très difficile l’acceptation de ma bisexualité. J’avais peur et j’étais effrayée à l’idée d’être jugée. Je ne pense même pas un instant que j’entrevoyais la possibilité d’être queer. Un soir alors que nous étions à table pour dîner, mon père a déclaré que tous les homosexuels devraient être rassemblés sur une île et qu’il faudrait ensuite la bombarder. Il pensait être drôle. Lorsqu’il n’aimait pas une femme, il présumait qu’elle était lesbienne. Au même moment, je suis devenue végétarienne, j’étais en pleine crise d’identité : je sortais à peine de trois ans de mariage d’avec un homme abusif, je me posais des questions sur la religion et je venais de démarrer mes cours à l’université, ce qui était ma première expérience à l’école. J’avais 23 ans. Le véganisme était ma porte d’entrée à la politique de gauche, à l’athéisme et à la libération sexuelle. Les droits LGBTQ devinrent rapidement une partie très importante de ma vie, bien que je me voyais à l’époque uniquement comme une alliée. Pendant des années, je m’étais libéré de la misogynie et du sexisme que l’on avait voulu me faire accepter, ce qui m’a permis d’accueillir ma bisexualité assez facilement. J’ai développé un nouvel amour pour les femmes et les personnes non-binaires, non pas en tant qu’alliée mais en tant que queer moi aussi et potentielle amante.
Pensez-vous aujourd’hui que le véganisme et les queers est une sorte de duo naturel ? Je pense que la connexion qu’il existe entre les deux est de plusieurs nature : d’un côté, il y a cette empathie naturelle qu’éprouvent de très nombreuses personnes queer envers la détresse animale. Les personnes queer savent pour la plupart ce que cela fait que d’être maltraités simplement pour exister. D’un autre côté, il y a cette anxiété que ressentent les omnivores envers le véganisme qui est plutôt similaire à cette réaction de défense qu’éprouvent les hétéros envers les personnes LGBT. C’est très rare quand un omnivore doit expliquer pourquoi il mange de la viande, puisque c’est la norme dans la société, alors qu’on a l’impression que les véganes doivent devenir des diététiciens professionnels et des philosophes de l’éthique en une nuit. Cela s’apparente beaucoup au fait que les hétéros n’ont jamais à expliquer leur sexualité alors que les personnes queer passent leur temps à faire leur coming out. La norme n’a jamais à s’expliquer alors que la différence a, quant à elle, beaucoup de mal à se faire accepter ou alors doit se cacher pour survivre.
Ce projet vous a amenée à rencontrer plus de 20 personnes LGBTQ+ qui vous ont expliqué leur relation avec le véganisme. Quelles idées sont ressorties de ces rencontres ? La plupart des personnes avec lesquelles j’ai parlé ont fait le constat que leurs années d’étude ou leur envol du nid parental a été un moment décisif dans le choix de faire leur coming out en tant que LGBT et vegan. Il est certain que nombre des personnes véganes et végétariennes sont aussi membre de la communauté LGBTQ ; les deux groupes semblent partager les mêmes valeurs. Les militants des droits LGBT et ceux des droits des animaux partagent les mêmes tactiques : ils essayent d’ouvrir les esprits et de normaliser une identité qui a été pendant très longtemps diabolisée. (…)
Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro de mars de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !