Ethnologue de formation, formatrice en Wutao et auteure du livre Le Féminin sans tabou, Delphine Lhuillier a co-fondé le Festival du féminin en 2012. Depuis l’édition 2017 de cet événement créé par les femmes pour les femmes, elle y coordonne les Tentes arcs-en-ciel, des cercles de paroles et d’échanges ouvert aux femmes homosexuelles, bisexuelles et pansexuelles. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Je suis née dans les Vosges au début des années 1970. A l’âge de 20 ans, je me suis retrouvée dans une impasse. Perte de repères. Quête de sens. D’identité. Un voyage en Indonésie m’a « allumée », comme diraient les Québecois. Je me suis formée aux massages tout en suivant des études d’ethnologie. En 1997, je découvre la revue Génération Tao pour laquelle je ne tarde pas à écrire des articles. Ma rencontre avec le rédacteur en chef de l’époque et ses fondateurs est déterminante. Je deviendrai la rédactrice en chef de la revue alors diffusée en kiosque, et je suis encore aujourd’hui la responsable éditoriale du site www.generation-tao.com. En 2002, je participe à la création d’un centre d’arts corporels, le Centre Tao Paris, où seront créés différents événements dont le Festival du Féminin® qui a acquis une dimension internationale. (…)

Vous avez en effet cofondé le Festival du féminin avec Cécile Bercegeay et Christine Gatineau (aujourd’hui décédée). Pouvez-vous revenir sur la création de ce festival, de quel constat est-il né ? C’est un incroyable concours de circonstances. Une Américaine est venue animer un stage consacré à la Bio-énergétique taoïste féminine dans notre Centre. Sans entrer dans les détails, ce stage s’adressait aux femmes. Nous avons organisé une conférence en amont et à notre grande surprise, 70 femmes se sont rapidement inscrites. Mais notre plus grande surprise est venue des thèmes abordés ce soir-là : place dans la société, perte de désir après un accouchement, tabou de la maladie, etc. Nous avons été saisies par ce que nous entendions. Nous étions en 2011 et les femmes qui étaient présentes partageaient un quotidien difficile et des blessures profondes. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions contribuer à créer un espace pour que les femmes puissent libérer leur parole, s’émanciper de leurs carcans, asseoir leur souveraineté et oser se réinventer. Comme nous cherchions par ailleurs davantage de visibilité pour notre Centre, l’idée a émergé de créer un Festival qui serait consacré à la pratique et à l’expérimentation. Plonger en soi, célébrer, partager, en étant accompagnée de manière conviviale, festive et féconde. (..)

Chaque festival, accueille un ou deux ateliers de Wutao®, pouvez-vous nous présenter cet art d’éveil et nous dire comment vous en êtes devenue une pratiquante et une fervente ambassadrice ? Il se trouve que les créateurs de la revue Génération Tao, que j’ai rencontrés en 1997, Imanou Risselard et Pol Charoy, ont en 2000 créé cet art corporel contemporain. J’ai donc, par chance, assisté à son émergence ; je le vis encore aujourd’hui comme un cadeau. En chinois, Wutao® (prononcé Woutao) s’écrit avec deux idéogrammes : « Wu » pour « danse » ou « éveil » et « tao » qui évoque à la fois l’idée de cheminer et le mouvement permanent de la vie. En restaurant le mouvement pulsatoire et ondulatoire de la colonne vertébrale, en retrouvant la dynamique circulaire de la respiration, la pratique du Wutao fluidifie dans le même temps notre corps, nos émotions et notre esprit. Peu à peu, nous apprenons à lâcher prise; notre matrice se détend et notre bassin s’ancre. Le geste devient calligraphie, sentiment. Le corps « se défroisse », nous devenons plus créatifs : l’âme du corps s’éveille. Je dirais que je suis totalement, pleinement « tombée en amour » du Wutao. Cette onde, j’aime le confier, m’a sauvé la vie.

C’est également au cours de l’édition 2017 du Festival du féminin qu’est née la première Tente arc-en-ciel. Pouvez-vous nous en expliquer le concept et nous dire comment tout a commencé ? En 2015, avec mon ex-compagne, Christine Gatineau, décédée en 2016, nous réalisons qu’assumer notre désir pour les femmes à l’époque où nous avons vécu notre adolescence (les années 1980 et 1990), dans les Deux-Sèvres pour Christine et dans les Vosges pour moi, a été laborieuse. Nous mesurons encore et encore, à 49 ans pour Christine, à 43 ans pour moi, à quel point la blessure née de l’ignorance, du manque d’accueil ou de compréhension de notre entourage, pouvait encore imprégner notre vie. Nous prenons aussi conscience à quel point le discours véhiculé dans le monde du développement personnel est hétéronormé. Que les femmes homo, bi, pansexuelles, etc. doivent sans cesse adapter leur discours. Que les femmes n’osent pas ou très peu aborder leur sexualité quand elle diffère de l’hétérosexualité. Aussi, accompagnées dans ce sens par toute l’équipe du Centre, nous décidons d’acter cette prise de conscience. Comme nous accueillons dans le cadre du Festival du féminin et notre partenariat avec les Doulas de France, des Tentes Rouge, des cercles de paroles entre femmes, nous allions tout simplement consacrer un espace intime dans lequel cette parole puisse se libérer. Christine décédera entre temps. L’histoire retiendra que la 1ère Tente arc-en-ciel naît en mars 2017 pendant le Festival du féminin à Paris, co-animée avec Marion Rebérat, ma nouvelle compagne, qui aura cru en ces Tentes arcs-en-ciel. Je lui rends hommage ici. Marion aura pu ainsi apporter son expertise des cercles de femmes. Nous sommes toutes les deux aujourd’hui, les coordinatrices des Tentes arcs-en-ciel.

En quoi était-ce important pour vous d’ouvrir cet espace aux femmes homosexuelles, bisexuelles et pansexuelles ? Nous n’avons rien inventé bien sûr. Il existe des cercles de paroles depuis bien longtemps. Ils ont été créés pour accompagner les blessures et les souffrances de chacune. Une Tente arc-en-ciel accompagne aussi les joies, les découvertes, les prises de conscience. C’est un chemin en ça quelque peu différent. Peu à peu, à chaque prise de parole, émerge ce que Paule Lebrun appelait « la rivière sous la rivière ». En écoutant la parole de l’autre, je découvre, une expérience, une émotion, à laquelle je n’avais jamais pensé, mais qui fait tellement écho en moi. Et cela me fait grandir. Cela me fait avancer, aller plus loin. (…)

Quand et où sera montée la prochaine Tente Arc-en-ciel ? A Avignon. Et une autre se prépare à Paris. Nous avons été soutenues dès le départ par la « Langouste à bretelles », Centre LGBT à Avignon. Notre souhait : que des Tentes arcs-en-ciel ouvertes aux gays, aux trans, etc. puissent se créer. Notre expérience du Festival du féminin nous a montré que pour certaines personnes, il était essentiel de se retrouver entre elles pour entrer dans des « cercles » plus ouverts, en pleine confiance. En pleine intégrité.

www.festivaldufeminin.com | Tentes arcs-en-ciel sur Facebook

Photo : © Nathalie Frennet

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