Fabriquer et aider à fabriquer des jeux vidéos féministes et queer, c’est l’objectif du jeune collectif DIYKE. Pour Jeanne Magazine, Mathilde Bouquerel les a rencontrées. Extrait de l’article publié dans le numéro de février de Jeanne Magazine.
DIYKE est né il y a un peu plus d’un an, en janvier 2018, lorsque vous avez décidé de participer à un atelier organisé par le hackerspace Le Reset à la Mutinerie, un bar parisien féministe et queer. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y aller ?
Hélène : D’abord on a une passion commune pour les jeux, qu’ils soient vidéos ou de société, et plutôt coopératifs.
Alice : On connaissait déjà Le Reset après l’avoir découvert à « Loud and Proud », un festival queer à la Gaîté Lyrique à Paris. Ils organisaient un atelier de queer games pour présenter les créations de plusieurs personnes sur ces thématiques. C’est là qu’on a découvert les jeux d’Anna Antropy, une femme trans assez connue dans ce petit milieu, qui est notamment l’auteure de Disf4ia sur son parcours de transition.
Pendant l’atelier, vous vous êtes familiarisées avec le logiciel de création de jeux vidéos Pico.8, qui est en open source c’est-à-dire que tout le monde a accès à son code. Vous avez eu un véritable coup de cœur pour cet outil, pourquoi ?
Hélène : D’abord parce que c’est à la fois un logiciel et une console, donc tous les jeux créés grâce à Pico.8 sont jouables ensuite sur cette plateforme en ligne. Et puis il y a plusieurs dizaines de jeux qui sortent tous les jours et, comme ils sont tous en open source, on peut aller piocher dans leur code pour s’aider à créer notre jeu. L’autre gros avantage c’est que Pico.8 permet de gérer assez facilement le design, la musique et le fonctionnement du jeu, c’était parfait pour des novices comme nous ! Après seulement deux heures d’atelier à La Mutinerie, on avait déjà réussi à designer deux personnages qui se déplaçaient. Bon, après il nous a fallu plusieurs mois et des heures passées sur des forums pour créer tout le jeu mais on a réussi en partant vraiment de zéro !
Est-ce que le fait que le logiciel soit en open source (ou « libre »), c’est-à-dire que tout le monde puisse le télécharger et le modifier gratuitement, a aussi été un plus ?
Alice : Pour une part, oui. Le milieu de l’open source est forcément anti-capitaliste puisque est de partager les logiciels sans profit. Mais il n’est pas particulièrement féministe ou pro-LGBTI. Il n’y a qu’à voir la plupart des jeux créés à partir de Pico.8 : on y trouve de nombreuses situations très virilistes, pro-guerre…
Justement, l’objectif de « Dykie Street », le jeu que vous avez créé sur Pico.8 est de promouvoir des valeurs féministes et queer. C’est quelque chose qui manque dans le milieu du jeu vidéo selon vous ?
Alice : Clairement, oui ! En fait c’est assez paradoxal parce que, c’est prouvé par les statistiques, il y a au moins autant de joueuses que de joueurs derrière les consoles. Pourtant, les personnages féminins sont sous-représentés et très stéréotypés, notamment physiquement. Il y a un vrai décalage ! C’est vrai qu’il y a une évolution depuis une dizaine d’années, on voit apparaître de plus en plus de personnages féminins principaux. Mais les femmes racisées et/ou queer restent très rares. C’est pour ça qu’il était très important pour nous que Dykie, le héros/héroïne de Dykie Street ne soit pas identifiable comme d’un genre ou d’un autre, ou en tant que racisé.e ou non. L’objectif est que tout le monde puisse s’identifier à iel, et que les personnes qui ont habituellement l’impression d’être oubliée, se sentent représentées. C’est aussi la raison pour laquelle iel a la peau violette.
Hélène : Récemment un ami professeur d’économie nous a proposé d’intervenir dans sa classe de Première ES. On a laissé les lycéens jouer puis on leur a posé des questions, la première étant : « Dykie, pour vous, c’est qui ? » On a d’abord eu la réponse d’un garçon qui disait : « C’est un mec qui tag les murs. » Ensuite une fille a levé la main : « Mais non ! C’est une fille ! » Puis un autre élève a dit : « Moi je pense que c’est un trans ! » Et là, on s’est regardées avec un grand sourire parce qu’on avait atteint notre objectif.
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Retrouvez le rencontre en intégralité dans le numéro de février de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !