Au Népal, l’un des pays d’Asie du sud les plus progressistes pour les personnes LGBTI, la constitution de 2015 protège les droits des minorités sexuelles et plusieurs lois ont été promulguées en faveur des personnes homosexuelles et transgenres. Mais, dans les faits, la principale difficulté réside en l’application de ces lois dans une société patriarcale et hétéronormative.
Pour en savoir plus, Jeanne Magazine a rencontré Laxmi Ghalan qui vit à Hetauda, une ville située dans la province n°3, au sud-ouest de Katmandou. Avec sa compagne Meera Bajracharya, elle forme l’un des premiers couples lesbiens à avoir fait son coming out dans le pays et Laxmi est aussi la fondatrice et présidente de l’association Mitini Nepal où elle travaille sans relâche depuis 2005 pour améliorer le quotidien des personnes LBTI et pour développer un espace où toutes ces femmes peuvent se sentir en sécurité.

Pour Jeanne, Laxmi revient sur le quotidien des lesbiennes au Népal et sur la déclaration de Sudarsan Khadka, le co-secrétaire d’Etat au parlement qui a expliqué, début janvier, que les sujets qui relevaient de la protection des droits des personnes LGBTI n’étaient pas la priorité du gouvernement. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de janvier de Jeanne Magazine.

Laxmi Ghalan et Meera Bajracharya ont fait leur coming out en 2002 alors que la société népalaise connaissait à peine le terme « lesbienne ». Leurs familles leur ont tourné le dos mais les deux femmes avaient une envie plus forte : créer les premiers pas du mouvement lesbien au Népal. Battue par son père suite à son coming out, Laxmi n’a pas cédé et a décidé coûte que coûte de vivre au grand jour son amour avec Meera. Les médias se sont emparés de leur histoire et suite à cette médiatisation, Laxmi et Meera ont reçu de nombreux messages d’autres femmes, qui comme elles, aiment les femmes et se sentent isolées. Laxmi a compris l’urgence de la situation et a ainsi créé les prémices de ce qu’est aujourd’hui Mitini Nepal.

Vous rappelez-vous vos débuts de militante ? Tout à fait ! C’est au moment précis où j’ai compris que j’étais lesbienne. Je me suis rapidement rapprochée d’une association LGBTI à Katmandou pour y apprendre plus de la communauté à laquelle j’appartenais. J’ai vite compris que je devais travailler plus dur encore pour les lesbiennes, les bisexuelles et les femmes trans car au sein même de l’association où j’étais bénévole je ressentais de la discrimination envers les femmes LBT. C’est cette injustice qui m’a motivée à créer Mitini Nepal et à partir de ce moment-là, j’ai décidé de consacrer mon militantisme aux femmes LBT.

Mitini Nepal est l’une des seules associations qui se consacre aux femmes LBT au Népal… Oui, et ce depuis 2005 ! Nous avons commencé comme un groupe de soutien et de paroles pour les lesbiennes. Elles savaient qu’ici elles pouvaient parler librement et être elles-même sans se poser de questions. Elles partageaient beaucoup les unes avec les autres sur leurs expériences réciproques. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque c’était considéré comme un tabou ou encore une maladie mentale dans la société népalaise. Mitini Nepal a parcouru beaucoup de chemin depuis pour protéger nos droits et permettre à ces femmes de vivre en sécurité. Notre association n’avait pas beaucoup (pour ainsi dire pas du tout) de visibilité dans la société. Nous avons rencontré beaucoup d’obstacles et avons dû faire face à bien des difficultés pour que l’on nous considère enfin comme une association qui compte dans le tissu associatif national.

D’ailleurs que signifie Mitini ? Mitini est un terme népalais qui signifie « plus qu’une amie proche avec qui nous pouvons tout partager ». Je suis partie de cette idée pour créer un espace dans lequel les lesbiennes se sentiraient en sécurité. Un espace que j’aurais moi-même aimé fréquenter, créé pour toutes celles qui ne peuvent pas compter sur le soutien de leur famille ou de la société. Lorsque j’ai découvert l’association LGBTI à Katmandou, elle ne parlait à peu de choses près qu’aux gays. Il n’y avait pas de place pour les lesbiennes, les bisexuelles ou les trans. J’ai d’abord créé ce groupe de paroles et de soutien pour les femmes LBT au sein de l’association puis, en 2005, nous avons pris notre indépendance pour créer Mitini Nepal telle qu’elle existe aujourd’hui. (…)

L’association semble être très présente aussi bien dans les grandes villes népalaises que dans les zones plus rurales. Comment rendez-vous cela possible alors même que les actions doivent être très différentes dans un petit village au fin fond du Népal qu’à Katmandou ? C’est tout à fait exact. Il y a de très grandes différences entre les zones urbaines et rurales. Nous sommes contentes d’avoir notre siège social dans une grande ville, car nous pouvons plus facilement agir au niveau politique et juridique. Nous sommes plus près géographiquement des grandes instances du pays. Dans les zones rurales, il est parfois extrêmement difficile de s’y rendre tout simplement, puis la langue et la religion peuvent être une barrière souvent très compliquées à franchir. De ce fait, les habitants de ces zones reculées ne veulent même pas nous écouter donc nous cherchons à mettre en place des stratégies au cas par cas selon les endroits dans lesquels on souhaite aller pour entrer en contact avec ces différentes communautés.

Comment diriez-vous que la société népalaise a évolué au fil de ces 15 dernières années ? Il y a eu de grands changements en ce qui concerne les questions LBTQ depuis la création de l’association. Par exemple, la constitution écrite en 2015 protège officiellement les droits des minorités sexuelles et statue qu’il ne devrait exister aucune discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Mais la principale difficulté réside en l’application de ces lois dans une société hétéronormative. Il y a encore beaucoup à faire au sein de la société pour que la communauté LBT se sente bien intégrée. Est-il d’ailleurs nécessaire d’ajouter que la communauté queer, quant à elle, meurt d’envie de pouvoir être accueillie au sein de la société sans se sentir différente ou discriminée ?

Comment cela se passe-t-il aujourd’hui pour une jeune femme lesbienne qui souhaite faire son coming out ? Les lesbiennes sont encore aujourd’hui discriminées et nos droits sont bafoués. Être lesbienne au Népal est difficile, principalement à cause du modèle patriarcal de notre pays, alors une jeune femme va très certainement hésiter avant de faire son coming out. Bien sûr, certaines le font mais suite à cela, elles sont poussées par leur famille à cacher leur orientation sexuelle. La plupart sont même forcées de se marier avec un homme contre leur volonté. (…)

La situation que vous dépeignez est loin d’être idéale et pourtant le Népal est le seul pays de la région a avoir inscrit dans sa constitution la protection des droits des minorités LGBTQ. Concrètement que cela signifie-t-il ? En d’autres termes, cela signifie que les membres de la communauté LGBTQ peuvent exercer tous les droits inscrits et qui leur sont autorisés par la constitution comme dans l’article 12 « Citoyenneté », l’article 18 « Droit à l’égalité » et l’article 42 « Droit à la justice sociale » sans peur de devoir cacher leur orientation sexuelle. Mais dans les faits, ça n’a rien d’évident et il faut faire face à de nombreuses difficultés. Encore une fois c’est l’intégration dans la société qui rend tout cela très compliqué ! (…)

Comment expliquez-vous cette avancée majeure dans la constitution népalaise et pensez-vous que les pays voisins suivront le pas ? Nous sommes très fières de notre militantisme et de ce que nous avons pu acquérir ici, au Népal. Le mouvement LGBTI n’est pas vieux dans notre pays puisqu’il n’a vu le jour qu’en 2000 ! (…)

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mitininepal.org.np

Retrouvez la rencontre avec Laxmi Ghalan en intégralité dans le numéro de janvier de Jeanne MagazineEn vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !