Initialement prévu pour fin novembre, le projet de révision des lois de bioéthique, qui comprend notamment l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes homosexuelles et célibataires, ne sera finalement pas examiné à l’Assemblée nationale avant l’été prochain. « Il y a un décalage de quatre mois et demi ou cinq mois en raison de l’encombrement du calendrier parlementaire« , a expliqué, jeudi 16 novembre, à l’AFP, le rapporteur de la mission d’information à l’Assemblée Jean-Louis Touraine, député La République en marche du Rhône. En attendant que les discussions débutent véritablement au parlement, nous avons décidé de faire le point avec nos expertes sur le sujet. Ainsi Céline Cester, présidente de l’association Les Enfants d’Arc-en-ciel, Brigitte Bogucki, avocate spécialiste en droit de la famille, et Martine Gross, ingénieure de recherche en sciences sociales au CNRS répondent aux questions de Jeanne. Extrait du dossier publié dans le numéro d’octobre de Jeanne Magazine.
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Martine Gross est ingénieure de recherche en sciences sociales au CNRS. Elle consacre la majorité de ses travaux de recherche à l’homoparentalité. En tant que spécialiste de la question, c’est à ce titre qu’elle a été auditionnée par différentes missions parlementaires sur le droit de la famille et des enfants, la révision des lois de bioéthique, la commission des lois à propos du « mariage pour tous et adoption ». Pour Jeanne Magazine, la sociologue revient sur les zones d’ombre et apporte, études à la clef, son expertise. Rencontre
Pouvez-vous revenir sur les premiers résultats de l’enquête Famille-PMA menée depuis 2015 à laquelle vous avez participé ? Une étude internationale menée parallèlement en France par Olivier Vecho (université Paris-Ouest) et moi-même (CNRS), au Royaume-Uni par Susan Golombok et Michael Lamb, tous deux chercheurs à l’université de Cambridge et aux Pays-Bas par Henny Bos (université d’Amsterdam) a démarré en 2013 et explore les relations familiales et les interactions parents-jeunes enfants dans les familles de mères lesbiennes ayant eu recours à un don de sperme, dans les familles de pères gays ayant eu recours à une gestation pour autrui et dans les familles hétérosexuelles ayant eu recours à une PMA sans don. Pour la première fois, une telle étude qui compare familles homoparentales et familles hétéroparentales a reçu un financement en France, de l’Agence nationale de la recherche. Les premiers résultats indiquent que le genre des parents, l’orientation sexuelle et le rôle de caregiver principal ou secondaire n’influent pas sur la qualité des interactions parentales avec les très jeunes enfants (Ellis-Davies et al., à paraître 2018). La transition vers la parentalité a également été explorée dans cette étude. Le type de famille (gay, lesbienne ou hétérosexuelle) n’impacte pas le ressenti, les compétences perçues, la chaleur et l’implication (Rubio et al., 2017, Transition to parenthood and quality of parenting among gay, lesbian and heterosexual couples who conceived through assisted reproduction, Journal of Family Studies, 1-19). Une analyse de la littérature scientifique publiée en 2018 par Olivier Vecho, Benoit Schneider et Chantal Zaouche-Gaudron Homoparentalité et assistance médicale à la procréation : que sait-on du développement des enfants de mères lesbiennes ? Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, disponible en ligne révèle essentiellement une homogénéité développementale entre enfants de mères lesbiennes et ceux de parents hétérosexuels (conçus naturellement ou par PMA), que l’on s’attache aux caractéristiques développementales des enfants ou aux relations familiales. Cette revue de la littérature scientifique consacrée au développement des enfants nés de PMA dans un foyer lesbien montre que le constat général des études est en conformité avec les bilans précédents d’une quasi absence d’effet de la structure familiale sur les critères développementaux tels que : les problèmes comportementaux et émotionnels, les comportements genrés, l’estime de soi et les compétences sociales. Il apparaît que la structure familiale se révèle en tant que telle une variable faiblement explicative mais on peut toutefois relever une meilleure communication au sein des familles homoparentales. Par ailleurs, c’est la qualité des relations au sein du couple parental, indépendamment de sa structure, qui apparaît être en lien avec la manifestation de problèmes comportementaux et d’adaptation sociale chez l’enfant.
Sans surprise, ressort de ces études que les enfants issus de PMA vont bien. Comment expliquez-vous alors que les anti-PMA se servent encore de l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant pour s’y opposer ? Les anti-PMA ne se penchent pas sur le bien-être ou le développement psychologique des enfants existants, conçus par PMA ou GPA, élevés au sein de familles homoparentales. Ils défendent un point de vue idéologique niant la diversité des configurations familiales. Pour eux, les parents sont un couple hétérosexuel ayant procréé ou pouvant à la rigueur passer pour avoir procréé leur enfants. Les dimensions biologiques, juridiques et sociales des liens parents-enfants doivent rester indissociables. Pour eux, un géniteur est toujours un père, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils s’opposent non seulement à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes mais également à la PMA avec tiers donneur pour les couples hétérosexuels. Les représentants de la « manif pour tous » ne se sont pas contentés de fustiger la « PMA sans père » mais ont également revendiqué de supprimer totalement la PMA avec tiers donneur car elle constituerait une rupture dans la filiation de l’enfant et ferait naître des enfants de père inconnu (audition devant le CCNE, 29 mars 2018), rejoignant ainsi les recommandations du Vatican qui rejette tout artifice biomédical dans la procréation. Pour ces opposants le lien parental se confond avec le lien biologique sans que jamais la volonté ou l’engagement parental n’intervienne. Il faut remarquer que chaque évolution sociétale a provoqué des réactions conservatrices qui mettaient en avant la menace de l’ébranlement de l’ordre social. Ainsi en a-t-il été du vote des femmes, de la contraception, de l’IVG, du divorce par consentement mutuel, du pacs, du mariage pour tous et aujourd’hui de la PMA. Pour ces opposants, l’ordre social et les institutions qui le gouvernent, notamment la famille, ne peuvent être qu’immuables.
Le 23 septembre dernier, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a déclaré « La PMA c’est une bombe si l’on décide d’en faire un combat de société » Et selon le JDD, le Président a affirmé aux parlementaires qu’il n’était « pas question de brutaliser les consciences ». Comme l’a expliqué Caroline Mecary dans une tribune publiée sur le HuffPost, « Il n’y a pas de consensus à rechercher sur un sujet où il ne peut y avoir de consensus » Quels sont pour vous les erreurs à éviter pour faire passer l’ouverture de la PMA sans heurts ? Il faut éviter de faire traîner le débat en longueur. Plus le temps passe et plus les opposants ont le temps de peaufiner leurs arguments et de fourbir leurs armes. Je suis d’accord avec Caroline Mécary, il ne peut y avoir de consensus car ce sont deux visions de la société et de la famille qui s’affrontent. Les opposants font valoir une conception anhistorique, immuable de la famille et de la filiation tandis que les favorables à l’ouverture de la PMA tiennent compte de la pluralité des configurations familiales et mettent en avant un modèle davantage fondé sur l’engagement parental que sur la procréation.
Pénurie de sperme et d’ovocytes, inégalités entre enfants nés de donneurs anonymes, et enfants nés de donneurs non anonymes, conséquences pour l’enfant d’une institutionnalisation de l’absence de père. Que pensez-vous des inquiétudes soulevées dans l’avis rendu par le CCNE ? Pénurie de sperme et d’ovocytes : Il y a actuellement deux ans d’attente pour accéder à un don de gamète. L’ouverture de la PMA aux couples de femmes va indéniablement augmenter la demande de don de sperme. Il faudra multiplier les campagnes d’incitation pour augmenter le nombre de donneurs. Par ailleurs, une partie des couples de femmes continuera à se rendre à l’étranger pour éviter d’attendre. Elles le feront plus sereinement qu’aujourd’hui puisque la pratique sera légale et que l’insémination et les traitements préalables seront pris en charge. Enfin, si le don direct était encadré, c’est à dire la possibilité de recourir à la PMA en venant avec un donneur, cela pourrait diminuer le risque de pénurie. (…)
Comment expliquez-vous cette omniprésence des anti-PMA sur les plateaux télé ? Je n’ai pas d’explication. Je constate comme vous. Peut-être que les opposants sont mieux rodés au débat télévisé et qu’il y a moins de familles ou d’enfant prêts à témoigner, ce serait donc plus facile pour les journalistes de faire venir les opposants. J’ai conscience que c’est une explication un peu faible.
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Photo Betsy Kershner pour The Pride & Joy Project
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