« C’est l’histoire de mon désir qui est devenu une identité et un combat. J’avais dix-huit ans. J’étais une flèche lancée vers sa cible, que nul ne pouvait faire dévier de sa trajectoire. J’avais la fièvre. » Dans son nouveau roman, Tous les hommes désirent naturellement savoir, publié chez Lattès, Nina Bouraoui revient sur son enfance algérienne, sa jeunesse parisienne, son homosexualité. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de septembre de Jeanne Magazine. Photo Francesca Mantovani

Pourquoi avoir choisi aujourd’hui de vous confier ainsi sur votre enfance algérienne, votre jeunesse parisienne, et de revenir sur la découverte de votre homosexualité ? Avoir la cinquantaine a aboli la peur. Je peux désormais regarder mon enfance, ma jeunesse, dans les yeux, sans honte aucune. C’est la première raison. Je me sens libre et libérée de mes chaînes. La société évolue. Le langage s’est libéré. Mais la parole de haine s’est elle aussi libérée. Il me semble que nous rétrogradons. Les manifestations qui suivirent le Mariage pour tous m’ont fait beaucoup de peine. Je ne pensais pas la France si fermée et enfermée. J’ai beaucoup pleuré devant les images du million de personnes à Paris, dans les rues, qui nous insultaient. Le combat n’est jamais achevé. Il ne faut jamais oublier qu’un adulte homosexuel a été un enfant homosexuel. En hommage à ces enfants-là, nous devons, nous, adultes, être les garants de leurs droits et de leur liberté. La littérature est comme une maison qui protège. C’est à eux que j’ai pensé en écrivant mon enfance, différente, étrange parfois, en Algérie.

Grâce à votre histoire, nous apprenons beaucoup sur la façon de découvrir et d’accepter son homosexualité dans les années 90, à une période où le sujet était encore tabou. Quel a été votre cheminement personnel ? Nous étions en 1985. Les femmes rasaient encore les murs avant d’atteindre la porte du Katmandou. À l’intérieur c’était comme une petite folie. Soudain, chacune d’entre elles était libre et sans masque. Le Sida arrivait, avec son cortège d’angoisse, de rumeur, de fantasme. C’est à cette période aussi que j’ai constaté que la voix des femmes était encore bien silencieuse comparée à celle des hommes- même dans les minorités, les hommes étaient prioritaires et bénéficiaient d’une plus grande visibilité. J’ai pour habitude de qualifier ces années 80 comme les années d’une homosexualité féminine old school. (…)

Comment avez-vous finalement accepté et vécu votre homosexualité au grand jour ? Dès que j’ai pu publier. J’étais écrivain et homosexuelle. C’était mon identité.

De quelle manière en avez-vous parlé à vos parents et comment ont-ils accueilli cette annonce ? Plutôt très bien, dans une conversation. Ils n’ont pas eu le choix à vrai dire. C’était d’une telle évidence. Ils étaient habitués à ça, depuis mon enfance. Je crois que le plus tolérant a été mon père algérien. Il admire mon côté militant, ma liberté aussi, de dire, d’écrire.

(…)

Tous les hommes désirent naturellement savoir de Nina Bouraoui (Editions JC Lattès)

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