Avec Trois amours de ma jeunesse, Danièle Saint-Bois se confie sur la découverte de son homosexualité à la campagne dans les années 70 et sur les trois jeunes femmes qui ont révélé « la force et la justesse » de ses désirs. Pour Jeanne Magazine, la romancière revient sur ses jeunes années et nous livre son regard sur les combats menés par les personnes LGBT aujourd’hui. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de janvier.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? J’ai eu deux vies, la première, rangée et tourmentée, la deuxième, non moins tourmentée mais libérée du poids de la « normitude ». Je suis née près du milieu du 20è siècle ! J’ai toujours répugné à dire mon âge, pour une raison très simple, c’est que je pense qu’il y a une erreur dans mon état civil ! Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé et surtout où est passée ma vie. Dans ma tête, je n’ai pas l’âge de mes courbatures, de mes articulations un peu rouillées. Je suis grand-mère, je pourrais être arrière grand-mère. Je sais gré à mes petites filles de m’avoir épargné ce statut dont il n’est pas interdit de se glorifier. Ce qui me caractérise le mieux, c’est l’humour, souvent noir et féroce. C’est cette particularité revendiquée qui me fait me proclamer le plus grand écrivain inconnu de ma génération. J’écris depuis mon adolescence. J’ai commencé à publier au début de ma deuxième vie. Aujourd’hui, j’ai un peu l’impression d’être dans une troisième, celle des constats. Sans tristesse et sans amertume. Juste envie, parfois, de dire : joker ! je rejoue !

«  Je creuse, je fouille, je suis l’archéologue émue et presque sereine de mon passé, je ne cherche ni un trésor, ni les traces d’un royaume disparu, je cherche juste l’émotion, celle que le temps étouffe lentement ». Votre roman se lit comme un précieux témoignage, pourquoi avoir choisi de vous confier ainsi sur vos trois amours de jeunesse ? C’est assez difficile à dire. C’est un peu comme un testament, il y a un moment où on doit le faire. Lorsque je parle de mes livres avec des amis j’ai coutume de dire que j’écris le même livre depuis quarante ans, sous des formes diverses. Cette fois j’ai voulu me débarrasser du romanesque, en finir avec les masques. Me livrer et me délivrer. L’autre raison, c’est celle dictée par la nécessité d’écrire, encore et toujours mais aussi celle qui nous fait regarder en arrière non par nostalgie mais parce que le chemin parcouru est nettement plus étendu donc plus visible et décryptable que celui sur lequel on chemine encore, en oubliant parfois, fort heureusement, que la ligne d’horizon est très proche et que la vue est bouchée. Et puis je voulais tenter de comprendre et d’exprimer notre capacité à oublier nos amours, nos grandes douleurs, nos joies, toutes vécues avec une intensité parfois destructrice et devenues au fil du temps comme irréelles, presque effacées. Je cite volontiers un extrait d’un texte d’une amie américaine Martha Evans qui a écrit sur des écrivaines homosexuelles ou bi et qui explique très bien le pourquoi de l’autobiographie : « Ecrire sa vie, son autobiographie, c’est reconnaître implicitement que le fait d’être né, le fait d’exister ne suffit pas à justifier une vie. L’écriture, (graphie) vient suppléer à ce manque à être (bio) en permettant à l’écrivain une seconde naissance dont il est la seule cause (auto). Tout en prétendant enregistrer les faits qui constituent l’histoire d’une vie, l’autobiographie est donc sous-tendue par un mythe qui représente un rêve d’autogenèse. » (Martha Noël Evans, La mythologie de l’écriture de La Bâtarde de Violette Leduc).

Grâce à votre histoire, nous apprenons beaucoup sur la façon de découvrir et d’accepter son homosexualité dans les années 70, à une période où on en parlait peu. Quel a été votre cheminement personnel ? Autour de mes quatorze, quinze ans, j’ai éprouvé une violente attirance pour une fille de mon âge, que j’appelle Frankie dans mon livre, attirance que je considérais alors comme une bizarrerie inexplicable. Je ne me disais pas que c’était mal, je ne savais pas ce que c’était. Je dis « une fille » et pas « les filles » car seule Frankie m’attirait. Sinon je préférais jouer et arpenter les rues avec les garçons, j’étais toujours fourrée avec eux, je les trouvais moins ennuyeux que les filles ! Je ne savais pas alors que j’aimerais les femmes. Frankie faisait battre mon cœur plus vite et m’obsédait. C’était lancinant, exténuant. Je pensais à elle à chaque instant de ma vie. C’était peu avant le retour au bercail de mon père qui était parti alors que j’avais trois ans, nous laissant dans une effroyable misère – Ton père, qui nous a abandonnés – et qui allait m’infliger la salissure d’une agression dont je parle dans le livre, agression qui est comme une sorte de lézarde entre mes deux « moi » et qui me fait juste murmurer « metoo » en mon for intérieur sans être totalement libérée de la honte. Bref, à ce moment-là, on ne parlait pas de ces-choses là, je veux dire de ces relations entre filles, en fait elles n’existaient pas tout simplement. Je ne connaissais même pas le mot : homosexualité. Je me souviens avoir vu au cinéma Jeunes filles en uniforme avec Romy Schneider et Lily Palmer et avoir reçu comme un coup de couteau dans le ventre au moment où Romy embrasse son professeur sur la bouche. Dans la rangée devant moi il y avait le boulanger du village et sa femme et, à ce moment-là, le boulanger a dit tout fort : Mais ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Si le boulanger ne savait pas et semblait offusqué, que pouvais-je savoir, moi, de ce qui allait me torturer durant tant d’années. A qui me confier, livrer ce secret qui me consumait ? Intérieurement je savais qu’il ne fallait rien dire. À personne. Il n’y avait aucune solution. J’étais dans une prison de verre, une abeille contre la vitre pour reprendre un titre d’Hervé Bazin. (…)

Mia, Frankie, Linda… en quoi ces femmes ont-elles façonné votre existence et votre façon d’appréhender l’amour ? Ce qui a façonné mon existence c’est surtout mon enfance avec une mère qui nous élevait seule et qui n’en pouvait plus, qui menaçait de se suicider, de se jeter dans la Garonne, c’est surtout le milieu social dont on est issu qui façonne une existence. Dans le mien, on subissait le froid, les privations, les chaussures trouées. Les parents ne parlaient pas aux enfants comme aujourd’hui. Ma mère ne pouvait certainement pas imaginer le maelstrom de mon âme. J’ai toujours eu peur de ma mère, peur de parler. Et d’ailleurs je ne parlais jamais. Après, j’ai eu peur de faire du mal à ceux que j’aimais. Il m’a manqué de la lucidité et du courage. Ce qui est certain c’est que ces trois amours de ma jeunesse m’ont révélé la force et la justesse de mes désirs. Le seul but possible, la seule voix possible, la seule vie possible, le partage de tout avec une femme. Finalement c’était mon choix depuis toujours, mon premier choix ! mais il m’a fallu bien du temps non pour accepter car je n‘ai jamais refusé ce choix mais pour en être fière. J’ai horreur d’être comme tout le monde, ça tombe bien. Comme je suis têtue et coriace, je n’abandonne jamais. J’ai mis quinze ans avant d’arriver à publier un premier livre, j’aurais pu laisser tomber… mais non, je n’ai pas renoncé. C’eut été donner raison à ceux qui avaient tort.

(…)

Trois amours de ma jeunesse de Danièle Saint-Bois (Julliard)

Retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de janvier de Jeanne MagazineN’oubliez pas qu’en vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer plus que 80 pages de contenu exclusif chaque mois !