Janvier 2018 marque le lancement des Etats généraux de la bioéthique, au cours desquels le gouvernement va proposer d’ouvrir la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. A cette occasion, Jeanne Magazine a posé quelques questions à Irène Théry, sociologue spécialiste de la famille et directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, qui a défendu le projet de loi sur le mariage pour tous à l’Assemblée nationale et au Sénat. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de janvier de Jeanne Magazine.
Comme l’a souhaité Emmanuel Macron, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes sera discutée dans le cadre de la loi de bioéthique, est-ce une bonne décision selon vous ? Bien sûr. Cette ouverture aurait logiquement dû être intégrée à la loi de 2013 qui a institué le mariage pour tous, et j’avais défendu cela à l’époque lors de mes auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat. Dès lors que la société française s’est déclarée prête à métamorphoser son système de filiation et à instituer qu’un enfant puisse avoir désormais deux pères ou deux mères, il n’y avait aucune raison de se borner à ouvrir l’adoption, dont on sait de surcroît qu’elle est désormais très rarement possible. D’ailleurs pour les lesbiennes, l’adoption a surtout été une possibilité de régulariser la filiation après une PMA faite à l’étranger. Mais cette solution est bancale, hypocrite, a créé de l’insécurité et instillé de l’inégalité au sein des couples, en obligeant la mère sociale à adopter son propre enfant. Le président Macron s’est engagé à juste titre : il n’est pas normal que la PMA avec don soit réservée en France aux seuls couples hétérosexuels.
Quelles seront les étapes clefs de la révision de la loi de bioéthique ? Quelles seront les différentes étapes du futur projet de loi ? La spécificité de cette révision est l’existence d’états généraux de la bioéthique, en amont du projet de loi et conçus pour peser sur celui-ci. En tant que citoyenne, j’ai de vrais doutes sur le sens et la valeur démocratique de cette procédure. Les précédents états généraux, en 2010, ont été une caricature de démocratie participative. Nous devrons être vigilants et suivre de près ce qui va se passer dans les régions d’ici juin. Ensuite, des rapports seront rédigés, puis on reviendra vers le schéma parlementaire habituel.
En octobre dernier lors de son entretien retransmis sur TF1, Emmanuel Macron a dit souhaiter « un débat apaisé » dans le courant de l’année 2018 sur la question de l’ouverture à la PMA à toutes les femmes. Pensez-vous que cela va être le cas avec des déclarations comme celle du député Les Républicains Eric Ciotti qui a dit le 3 janvier son opposition aux PMA « de confort » ? Imposer son point de vue minoritaire en prenant la France en otage par des manifestations en rose et bleu est l’espoir avoué de tout un secteur traditionaliste. Pour cela, malgré ses protestations de bonnes intentions, il lui faut empêcher un débat apaisé. On ne s’avise pas suffisamment que toute une rhétorique est prête pour intimider et diviser. Le coeur de celle-ci consiste à opposer deux PMA : la PMA « thérapeutique » (très morale) qui aurait été la seule jusqu’à présent et une nouvelle PMA « sociale » ou « de confort » (terme volontairement injurieux), triomphe d’individualisme qui viendrait casser tous les repères et nous entraîner dans un monde post-humain. Cette rhétorique repose sur un récit du changement qui peut séduire car les gens ne connaissent pas bien la PMA. Il faut donc la prendre au sérieux et lui répondre.
Comment ? Eh bien, il est tout simplement faux de dire que la PMA a été jusqu’à présent seulement thérapeutique, car depuis un demi siècle il existe aussi une autre PMA, qui ne prétend rien soigner du tout et après laquelle le mari stérile reste tout aussi stérile. Elle consiste en un arrangement social : c’est l’engendrement avec tiers donneur. C’est une nouvelle façon de mettre des enfants au monde par la coopération d’un couple de parents d’intention et d’une tierce personne qui a donné de sa capacité procréative pour permettre à d’autres de devenir parents. C’est bien parce que cette PMA sociale existait que les lesbiennes se sont dit « pourquoi pas nous ? ». Aucune sorte de changement ne se profile ici concernant les pratiques de PMA. La seule et unique question en jeu est celle des bénéficiaires autorisés. Voyez comme on pointe du doigt et on diabolise les lesbiennes par une simple construction rhétorique fallacieuse : vous allez « tout changer » « remettre en cause les fondements de notre modèle bioéthique » opérer une « rupture anthropologique », qui sera le triomphe du « marché » et du « droit à l’enfant ». Ce genre d’accusation est très violente même quand elle est dite en termes plus polis que ceux de M. Ciotti.
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Retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de janvier de Jeanne Magazine. N’oubliez pas qu’en vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer plus que 80 pages de contenu exclusif chaque mois !