En Namibie, Irene Garoes est bénévole au Women’s Leadership Centre, qui a organisé en novembre dernier la première édition du Festival Lesbien Namibien. Un événement historique dans un pays où certaines lesbiennes sont encore obligées de se marier avec un homme, de s’impliquer dans une relation hétéro pour « cacher » leur orientation sexuelle et où d’autres encore sont battues et violées dans leur famille pour les « guérir » de leur homosexualité. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? Je suis une militante féministe et une poète guerrière originaire de Namibie. Je suis bénévole au Women’s Leadership Centre (WLC) où je m’occupe plus spécifiquement du programme de construction féministe et lesbien. Je ne sais pas exactement mettre le doigt sur le moment où j’ai réalisé que j’étais une militante, mais ce sentiment a grandi quand j’ai constaté la différence de traitement entre les hommes et les femmes. Voir les privilèges et le pouvoir accordés aux hommes et non aux femmes n’avais pas de sens pour moi et j’ai souhaité, dès mon plus jeune âge, lutter contre cette injustice pour que les choses s’équilibrent. Travailler au WLC me donne cette opportunité puisque nous avançons aux côtés de femmes marginalisées, des femmes qui sont oppressées à différents niveaux (âge, tradition, orientation sexuelle, origine ethnique ou encore la classe sociale).

Pouvez-vous revenir sur la création du Women’s Leadership Centre ? Le WLC a été créé en 2004 par Elizabeth Khaxas, militante féministe et lesbienne, dans le but de développer un tissu associatif féministe couvrant les différents groupes ethniques en Namibie, car chacun a ses propres usages en matière de lois et de pratiques culturelles qui oppressent les femmes de différentes manières. Nous travaillons avec des femmes qui vivent loin des villes et qui sont soumises à des lois propres à leur tribu, comme pour les jeunes filles et les femmes du peuple autochtone San qui sont parmi les plus marginalisées et exclues de notre société, sans parler des jeunes lesbiennes.(…).

L’art, par le biais de l’écriture, de la scène et de bien d’autres moyens, semble être au cœur du programme développé pour ces jeunes femmes par WLC. En quoi diriez-vous que l’art aide à donner du pouvoir à ces femmes ? A travers l’écriture, la musique, la danse ou encore la photographie, nous arrivons à défaire les multiples couches accumulées à cause des discriminations et de l’oppression que nous subissons régulièrement. L’expression créative est une source de cicatrisation pour nous, et nous l’utilisons pour partager nos expériences et nos réalités les unes avec les autres, aussi bien qu’avec le public qui assiste à nos différentes représentations. Lorsque nous écrivons et racontons nos histoires, nos expériences ne relèvent plus du domaine de l’incident isolé, du secret et du tabou. Au lieu de cela, toutes nos expériences permettent de dénoncer le système patriarcal et homophobe qui règne dans notre société.

Avez-vous noté une évolution des moeurs au sein de la société depuis le début de votre combat ? L’homosexualité en Namibie n’est ni légale ni illégale. A cause de l’occupation coloniale pendant des décennies, nous avons hérité du droit romano-néerlandais la loi « Sodomy law » qui interdit toute activité sexuelle anale pour les hommes. Dans les années qui ont suivi l’indépendance en 1990, un certain nombre de politiciens se sont servis de discours de haine à l’encontre des lesbiennes et des gays en Namibie. Nous étions les boucs émissaires de leurs erreurs en matière de pauvreté, de profondes inégalités sociales et de violence dans notre société. Ils ont dit de nous que nous n’étions ni des Africains, ni des Chrétiens et que nous devions tout simplement être éliminés de la société. (…)

Est-il possible pour une jeune lesbienne de parler de son homosexualité au sein de sa famille ? Il y a de nombreux facteurs qui influencent les relations familiales, certains peuvent être religieux, d’autres liés aux traditions et aux pratiques traditionnelles. Il est dit que 95% des Namibiens sont chrétiens, certains d’entre nous ont même été plusieurs fois à l’église pour prier que le « démon » sorte de nous. Il y a une pression constante sur les jeunes lesbiennes pour qu’elles correspondent à ce que la société attend d’elles : de bonnes jeunes filles, féminines dans notre façon d’être, dans notre tenue vestimentaire également et dans nos hobbies. Certaines d’entre nous ont également été obligées de nous marier avec un homme. D’autres encore ont été impliquées dans une relation hétéro pour « cacher » leur orientation sexuelle et pour satisfaire notre famille. Certaines d’entre nous ont même été battues et violées dans nos familles pour nous « guérir » de notre lesbianisme. Mais nous avons aussi des histoires positives à raconter, car certaines de nos familles acceptent et se tiennent du côté de leur fille lesbienne. (…)

On comprend combien il est difficile d’être lesbienne aujourd’hui en Namibie. Est-ce ce qui vous a motivé à développer le premier festival lesbien du pays dont la première édition a eu lieu en novembre ? (…) Le festival est né il y a deux ans, il s’est construit petit à petit au fil des mois en produisant une exhibition de photographies de voyage et aussi un livre de photos et de textes réalisés par de jeunes lesbiennes à travers tout le pays. Durant ces deux ans, nous nous sommes réunies pour réfléchir à ce que nous voulions faire de ce Festival Lesbien Namibien. Parallèlement aux productions artistiques qui ont vu le jour dans le cadre du festival, c’est aussi un espace de lien social, de culture et de parole politique qui a été créé, célébrant la richesse et la diversité des jeunes lesbiennes à travers le pays. (…)

Comment s’est passé ce premier festival lesbien ? Cette première édition du Festival Lesbien Namibien s’est tenu sur une semaine du 20 au 24 novembre. Environ 80 lesbiennes venues de tout le pays y ont participé et ont pu prendre part à nos ateliers de musique, de poésie, de théâtre et de danse en plusieurs groupes. Nous avions également des événements ouverts au public en soirée : mardi, le groupe de théâtre a joué sur scène une pièce en trois actes sur la visibilité, la résistance et le pouvoir au féminin. Mercredi, nous avons eu un débat abordant la construction d’un mouvement féministe et lesbien. Et enfin jeudi, nous avons présenté un spectacle lors duquel des artistes ont déclamé des poésies, ont fait de la musique et ont dansé. Environ 150 personnes ont assisté à cette soirée et nous avons même eu le droit à une couverture médiatique par les journaux locaux. (…)

www.wlc-namibia.org

Retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de décembre de Jeanne MagazineN’oubliez pas qu’en vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer plus que 80 pages de contenu exclusif chaque mois !