Début octobre, le Free Speech Bus de la plateforme CitizenGo a sillonné les rues de Paris et d’Ile-de-France pour alerter les passants sur l’enseignement de la prétendue théorie du genre à l’école. Dans son nouveau livre, Papa, maman, le genre et moi, publié chez Albin Michel, Michela Marzano, philosophe et députée en Italie, analyse les interprétations les plus fantaisistes qui entourent cette soi-disant « idéologie du genre » et qui influencent de plus en plus de responsables politiques et religieux. Elle montre les erreurs les plus grossières où se mélangent, sans la moindre connaissance des réalités humaines, des notions comme la différence des sexes, l’identité de genre, les orientations sexuelles et les pratiques sexuelles. Extrait de m’interview publiée dans le numéro d’octobre de Jeanne Magazine.
Selon le Free Speech Bus, la « théorie du genre » aurait pour but de déconstruire le modèle familial traditionnel et la norme hétérosexuelle, pour, comme vous le dites dans votre livre, « détourner les enfants du droit chemin en les poussant à changer de sexe ou à devenir homosexuels. » Qu’est-ce qui motivent réellement ces personnes selon vous ? Pourquoi sont-elles à ce point hostiles à l’homosexualité, la transsexualité, à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ? Plus je cherche à comprendre ce qui se cache derrière les vidéos et les écrits contre le genre, plus je suis persuadée qu’il s’agit d’un ensemble d’arguments utilisés pour créer un écran de fumée devant le vrai problème : l’homosexualité. Mais, comme aujourd’hui il n’est pas de bon ton d’exprimer publiquement son homophobie, alors on cherche à détourner le discours en utilisant la technique de la « pente glissante » : si on admet aujourd’hui ceci, qui nous dit qu’on ne sera pas obligé ensuite d’admettre cela ? D’abord, il y a eu le PACS, ensuite le mariage homosexuel. Après le mariage viendra l’adoption ; après l’adoption, l’insémination avec don ; après l’insémination avec don, la gestation pour autrui, la location d’utérus, les mères porteuses, les « enfants en plastique ». Et puis, tant qu’on y est, pourquoi pas la polygamie, la pédophilie, la zoophilie… ? Le « mariage pour tous » est le début de la fin de la famille…
Maintes fois utilisés au cours des débats sur le mariage pour tous, la « théorie du genre » et l’existence d’un prétendu lobby LGBT sont de nouveau brandis avec le projet d’ouvrir la PMA à toutes les femmes. Le titre de votre livre semble faire référence aux slogans de la Manif pour tous, qui alignent les stéréotypes liés aux études du genre. Est-ce une volonté (ironique) de votre part ? Oui, il s’agit effectivement d’une ironie. A chaque fois qu’on soulève des arguments contre les familles homoparentales, on en appelle toujours à la nature et la normalité. Il y aurait, d’un côté, les familles « naturelles », et donc « normales », celles composées d’un père, d’une mère et des enfants ; et, de l’autre côté, les familles « non-naturelles » (et donc anormales) : celles composées de deux hommes ou de deux femmes, avec le risque, si ces familles ont des enfants, de créer, comme l’écrit un essayiste catholique traditionaliste, des « monstres sociaux ». Mais qu’est-ce qu’une famille « naturelle » ? L’argument selon lequel la famille composée d’un homme et d’une femme serait « naturelle » vient du fait que, biologiquement, l’enfant est évidemment le fruit de la rencontre entre spermatozoïdes (masculin) et ovules (féminin) – ce que personne ne nie. Mais c’est une chose la conception d’un enfant ; c’en est une autre sa venue au monde, son accueil au sein d’un couple, sa reconnaissance comme être humain, ses premier pas au sein d’une famille, puis d’une société. En d’autres termes, à côté de la filiation naturelle, il y a la filiation symbolique qui est bien plus importante lorsqu’on parle d’un être humain et non d’un simple mammifère : chacun de nous, pour bien démarrer son existence, a tout d’abord besoin d’être reconnu dans son unicité, et donc d’être désiré et aimé pour ce qu’il est. C’est le point essentiel qui permettra à un enfant de grandir ou pas de façon harmonieuse.
Comment déconstruiriez-vous les arguments de la Manif pour tous et consorts, qui ne manquent pas au sujet de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ? L’argument qui va être le plus utilisé est sans doute celui de « l’absence du père ». Comme si l’absence d’une figure masculine entraînait nécessairement la perte du rôle paternel. Certes, chaque enfant a droit à la paternité et à la maternité. Mais en quoi consistent réellement la maternité et la paternité ? Pouvons-nous réduire ces concepts à de la biologie ? La mère biologique qui accouche sous X, et qui donc ne reconnaît pas son fils et n’accepte même pas que son nom apparaisse sur la fiche d’état civil d’un enfant, est-t-elle réellement une mère ? La mère adoptive, qui n’a donc aucun lien biologique avec ses enfants, n’est-t-elle pas au contraire leur véritable mère ? Un homme qui disparaît lorsqu’une femme tombe enceinte, est-il le père de l’enfant qui va naître ? N’est-il pas simplement le « géniteur » de cet enfant ? La langue française, sur ce point, est très précise et distingue bien entre géniteurs et parents. Le terme « géniteur » renvoie aux liens génétiques et biologiques, tandis que le terme « parent » renvoie au rôle éducatif, à la responsabilité, à l’affection, à tout ce qui permet à un enfant de grandir en apprenant aussi le sens des limites. C’est pourquoi, lorsqu’on parle de « maternité », on se réfère surtout à tout ce qui nous permet depuis la toute petite enfance de découvrir le sens de notre vie : la mère est la personne qui est capable de recueillir la vie pour éviter qu’elle tombe dans le vide du non-sens et cela indépendamment non seulement des liens biologiques mais aussi de son genre ; le père est la personne qui nous apprend justement l’existence des limites (car tout ne doit pas être fait), encore une fois indépendamment des liens biologiques et de son genre.
Comme en France, vous avez vécu les mêmes débats autour du genre lors du vote sur l’union civile en Italie. Pouvez-vous revenir sur ce que vous nommez la « clé de toutes les erreurs » à savoir qu’on ne choisit pas d’être homosexuel, hétérosexuel ou transsexuel… L’homosexualité, de même que l’hétérosexualité, est une orientation sexuelle, et donc, une façon d’être et d’aimer, quelque chose qu’on ne choisit pas, qu’on ne change pas, qu’on ne soigne pas. Quelque chose à reconnaître et à accepter. Quelque chose qui fait partie de notre identité, avec laquelle tôt ou tard nous devons tous nous accommoder. Prétendre, comme on l’entend souvent, que l’homosexualité ne serait qu’une « tendance » que l’on décide (ou non) de suivre ou alors une simple « pratique », signifie ne pas avoir compris que le sexe de « l’objet du désir » n’est jamais le fruit d’un choix conscient, comme le serait le choix d’une voiture ou d’un hôtel, mais qu’il s’impose à chacun de nous dès l’enfance. Certes, certaines personnes peuvent choisir de faire des expériences sexuelles avec des partenaires du même sexe, et peuvent donc vivre des pratiques homosexuelles, mais lorsqu’on parle d’orientation sexuelle, on ne se réfère pas à cela mais au désir profond qui nous pousse sexuellement et émotivement vers des personnes d’un sexe ou d’un autre.
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▶ Papa, maman, le genre et moi de Michela Marzano (Albin Michel)
Retrouvez l’interview de Michela Marzano en intégralité dans le numéro d’octobre de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !