Auteure, comédienne, metteuse en scène et chroniqueuse radio, Océanerosemarie s’est fait connaître auprès du public lesbien notamment grâce à ses one woman show très réussis La lesbienne Invisible et plus récemment Chatons violents. On la retrouve aujourd’hui devant et derrière la caméra pour Embrasse-moi !, son premier long-métrage, co-réalisé avec Cyprien Val. Une comédie romantique lesbienne qui a pour objectif, nous confie-t-elle dans l’interview qui suit, de «banaliser et dédramatiser l’homosexualité féminine et pour offrir, surtout aux plus jeunes, des représentations de lesbiennes positives » et qui sortira sur nos écrans le 5 juillet prochain. Rencontre. Extraits de l’interview publiée dans le numéro de juin de Jeanne Magazine.
Vous signez avec Embrasse-moi ! la première comédie romantique lesbienne française dont le sujet n’est pas l’homosexualité des personnages. En quoi était-ce important pour vous d’aborder ce sujet sous cet angle ? Comme beaucoup de lesbiennes, j’ai souffert de ne pas avoir de représentations positives de lesbiennes dans la fiction (cinéma, télé etc.) et qu’il n’existe pas de vraie comédie romantique avec deux filles dans le cinéma français ! Qui plus est, les (quelques) comédies romantiques lesbiennes qui existent (Angleterre, Etats-Unis etc.) ont toutes plus ou moins le même pitch : une hétéro qui rencontre une lesbienne et qui se demande ce qui lui arrive ! C’est-à-dire que le sujet du film est toujours la découverte de l’homosexualité, et soyons clair, l’homosexualité comme « problème ». Or quand on a réglé son « problème » de coming out à 15 ou 20 ans, cette question n’est pas très identifiante, tourne vite en rond, en plus d’altériser de façon systémique les lesbiennes. Avec Cyprien Vial, qui est gay aussi, on rêvait d’un film qui présente des héro(ïne)s homos sans que ce soit le sujet ! Il est assez clair pour nous tou.te.s que l’homosexualité ne devrait plus être un sujet ou un problème, et pour aider la société à arriver à cette étape, il est nécessaire de créer de la fiction où c’est le cas ! Je dis souvent à moitié en riant que c’est un film d’anticipation puisque Embrasse-moi ! présente une famille recomposée où gays, lesbiennes, hétéros en couple mixte (avec le couple Michèle Laroque et Isaach de Bankolé) cohabitent sans que ce soit une question, un enjeu. Heureusement il existe déjà des familles qui ressemblent à celle du film, mais elles ne sont pas majoritaires. J’espère que ce sera bientôt le cas et que le film aidera certaines familles à « dédramatiser » l’homosexualité, aidera des parents à accepter le coming out de leur fille sans s’inquiéter et sans rejet. En cela le film est très militant parce qu’il met tout le monde sur un pied d’égalité. Faire des films où les lesbiennes souffrent (quand ce ne sont pas de total serial killer !) c’est sûrement important, mais quelque part, ça maintient le préjugé que c’est nous qui avons un problème, ça nous essentialise comme différentes et en souffrance. Alors que nous n’avons pas de problème ! C’est la société hétéronormative qui a un problème avec nous [Rires]. C’est pour ces raisons que j’avais écrit La Lesbienne Invisible et que très rapidement j’ai voulu faire ce film. Pour banaliser et dédramatiser l’homosexualité féminine et pour offrir, surtout aux plus jeunes, des représentations de lesbiennes positives, heureuses, avec une histoire touchante et surtout qui finit bien et sans meilleure amie découpée dans le congélo !
L’association américaine GLAAD vient justement de publier son rapport annuel consacré à la représentation des personnages LGBTQ au sein des productions hollywoodiennes, et sur les 125 films produits par les sept principaux studios d’Hollywood en 2016, seuls 23 incluent au moins un personnage LGBTQ. Comment expliquez-vous ce manque de représentation ? Déjà quand on voit le nombre de films qui ne passent pas le test de Bechdel, ça en dit long sur la puissance du patriarcat dans l’industrie du cinéma. Tenue par des hommes majoritairement blancs et hétérosexuels, les films leur ressemblent. La seule façon de changer les choses, c’est que les LGBT se battent pour affirmer ces représentations, comme les non-blancs peuvent le faire aussi. Le changement ne peut venir que de nous, et l’exemple de la série Sense8 est emblématique : il a fallu une femme trans au scénario et à la production pour qu’il y en ait une – plus un gay et une lesbienne – à l’écran ! Ce n’est pas un hasard. J’espère donc que les lesbiennes scénaristes, productrices et réalisatrices de la nouvelle génération prendront en main ces questions plutôt que de se « fondre dans le moule » comme l’ont fait la plupart de nos aîné.e.s, et parce qu’il est toujours plus facile de « vendre » un film avec des hétéros blancs qu’avec des homos/trans noir.e.s asiatiques ou arabes ! Mais c’est à nous de nous battre pour ces projets et d’inverser la tendance, en prouvant que nos films peuvent être identifiants pour tous, quelle que soit la couleur de peau ou l’orientation sexuelle. Nous, les LGBTQI, avons passé notre vie à nous identifier au cinéma à des héros hétéros, à pleurer, rire, à être émus par eux. Je pense que les hétéros ont l’exacte même capacité de s’identifier à nos héros, il faut juste qu’on leur démontre !
Comment pensez-vous que la communauté LGBT va évoluer dans les prochaines années et qu’en attendez-vous ? Il y a pour moi aujourd’hui deux points cruciaux auxquels la « communauté » (je mets entre parenthèse car il y a tellement de façon d’être LGBT que je crois assez peu à cette notion) doit être attentive : tout d’abord, la transphobie, qui est aujourd’hui la discrimination la plus active et violente, tant au niveau de l’état qui continue à mettre des bâtons dans les roues aux trans qui veulent changer d’état civil, le discours totalement binaire qu’on est obligé de tenir face aux psys pour que les transitions soient prises en charge et j’en passe ; qu’au niveau de la société y compris chez les LGB. La transphobie devrait être notre priorité à tous et nous devons déconstruire notre propre transphobie, qu’elle soit consciente et inconsciente, car être homo ne garantit pas de ne pas être transphobe, loin de là. Ensuite je pense à la convergence des luttes : il est selon moi absurde de vouloir lutter contre une seule discrimination comme si on allait sauver notre peau en appuyant sur la tête des autres : ce qui nous écrase, c’est la structure même du capitalisme, qui se fonde sur la domination : des femmes, des non blancs, des gays, de prolétaires, des handicapés et j’en passe. Le capitalisme est intrinsèquement patriarcal, homophobe, classiste et raciste, et il faut combattre toutes les formes d’oppression pour avancer. Croire par exemple qu’en votant Front National pour qu’il y ait moins « d’étrangers » en France règlera les problèmes des homos est un leurre, et le nouveau gouvernement, avec deux homophobes avérés à des postes régaliens et une absence de prise de position en faveur de la PMA nous prouve que la gauche libérale ne fera rien pour nous… Je pense que le seul moyen de s’en sortir est de faire lutte commune avec les mouvement anti-racistes décoloniaux, les mouvements des syndicats anti-capitalistes, et en étant allié.e.s des mouvements qui luttent contre ce système de domination à tous les endroits !
Embrasse-moi ! un film d’Océanerosemarie et de Cypriel Val au cinéma le 5 juillet.
Retrouvez l’interview d’Océanerosemarie en intégralité dans le numéro de juin 2017 de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !