Originaire de Calgary au Canada, Heather Faulkner a vécu aux quatre coins du monde, avant de rencontrer sa compagne à Prague, et de s’installer en Australie. Aujourd’hui, les deux femmes vivent à Brisbane, la capitale de l’État du Queensland, où Heather, photographe, a suivi pendant 6 ans le parcours de huit lesbiennes qui vivent depuis toujours dans cet état très conservateur pour son projet de livre A Matter Of Time. Extrait de l’interview publiée dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Quand et comment a-t-il commencé ? J’ai lancé ce projet, A Matter Of Time, en 2008, dans le cadre de mon doctorat en photographie documentaire ; il s’agissait de la partie artistique. Luisa (ma compagne) et moi avions déménagé à Brisbane en 2003. Je m’attendais alors à trouver une culture queer plus ouverte, comme à Vancouver ou à Berlin, comme dans le Sydney que j’avais vu dans le film Priscilla, folle du désert ou pendant les cérémonies des Jeux Olympiques. Mais ça a été un choc de découvrir qu’à Brisbane, où on s’est installées, ce n’était pas si ouvert. J’ai réalisé que pour obtenir du boulot dans les media grand public je devais cacher ou dissimuler ma sexualité, ce qui était très irritant. C’était aussi difficile de trouver des lesbiennes engagées et visibles. Il y avait des bars mais ils n’étaient pas très diversifiés ni très nombreux. On a eu du mal à y trouver des lesbiennes, contrairement aux villes de Sydney et Melbourne. (…)
Pourquoi vouliez-vous avant tout raconter l’histoire de ces huit lesbiennes du Queensland ? A l’origine, je voulais rencontrer plus de femmes. Il y avait beaucoup, beaucoup de femmes enthousiasmées par le projet. J’ai rencontré un groupe nommé Older, Wiser Lesbians ou OWLS (acronyme signifiant « chouettes » pour Lesbiennes plus vieilles et plus sages) et elles m’ont aidée à trouver beaucoup de femmes. Mais au final, seules huit d’entre elles ont désiré aller jusqu’au bout du travail. C’était en 2008, lorsque les lois fédérales anti discrimination ne garantissaient pas aux LGBTQI une protection dans le milieu professionnel, dans les services sociaux ni contre le harcèlement etc. Par conséquent, de nombreuses femmes craignaient toujours de perdre leur job, leurs droits aux aides sociales ou financières ou encore leur famille et leurs amis. (…)
Est-ce important à vos yeux que la jeune génération connaisse l’histoire LGBT ? Il est très important que les nouvelles générations connaissent l’histoire LGBT parce qu’il est facile de défaire nos droits. Il suffit de regarder ce qu’il se passe en Amérique, où le mariage pour tous est devenu légal mais où un fonctionnaire du Kansas a refusé de délivrer un certificat de mariage à un couple homosexuel pour des raisons religieuses. On rencontre encore beaucoup de haine et de préjugés contre les LGBTQI parmi les personnes qui exercent un pouvoir. Le taux de suicides des jeunes LGBTQI est toujours très élevé. La santé mentale est un gros problème. Connaître notre histoire nous rend plus forts et plus à même de régler les problèmes sur un pied d’égalité. Je pense également que les lesbiennes âgées se sentent séparées des jeunes générations, ce qui est terrible pour leur santé mentale et leur bien-être. Il faut que la communauté en général soit plus accueillante. Nous vivons dans une société vieillissante, c’est pourquoi il y a de plus en plus de personnes LGBTQI qui nécessitent des services spécialisés de santé et de soins, le tragique étant que plus personne ne les voit comme des homos. Ils sont automatiquement considérés comme hétéros lorsqu’ils se retrouvent dans des installations pour personnes âgées. C’est tragique. Il est donc très important que l’on connaisse et comprenne leur histoire et que chacun d’entre eux soit considéré comme une personne à part entière, porteuse d’une histoire complète incluant sa sexualité.
Pourquoi vous être concentrée particulièrement sur le Queensland pour ce projet ? Le Queensland est l’état le plus homophobe d’Australie (d’après une grande enquête de 2010). C’est un immense état qui souffre de résultats inférieurs aux autres en matière d’éducation secondaire. Il a une histoire politique très conservatrice que d’autres universitaires qualifieraient d’autoritariste. Sir Joh Bjelke-Petersen a réussi à gouverner cet état pendant presque 30 ans. Son règne s’est achevé via une Commission sur les crimes et délits dans laquelle beaucoup de ses collègues et des fonctionnaires de police ont été accusés de corruption (prostitution, pots de vin dans l’attribution de chantiers etc.) et emprisonnés. Il y avait une loi anti-déviant qui interdisait aux restaurants et aux bars de servir les « déviants » connus (les gays, les lesbiennes, les pédophiles, les Aborigènes etc.) La suspicion et la peur agissent toujours viscéralement chez les personnes LGBTQI âgées. A l’heure actuelle, le Queensland a toujours une loi « panique homophobe », la loi dite de « l’avance homosexuelle » qui requalifie un meurtre en homicide involontaire si l’accusé affirme que le mort lui a fait des avances homosexuelles. (…)
Avez-vous pointé un lien commun à toutes ces femmes ? Oui, le point commun c’est qu’elles ont toutes surmonté la sensation de ne rien valoir, l’homophobie intériorisée, l’isolation et la honte pour devenir des êtres fiers et authentiques.
Votre campagne de financement participatif est un succès. Qu’avez-vous envisagé pour les mois à venir, par conséquent ? J’ai beaucoup de chance d’avoir obtenu un tel succès dans cette campagne. Cela m’a ôté la pression financière de devoir m’en sortir avec la seule subvention de l’éditeur (la malédiction du photographe documentaire est que les photos, surtout les photos en couleur, sont bien plus coûteuses à la publication que les simples textes). J’ai une page Facebook pour le projet : A Matter of Time Project, et un site web avec des vidéos : www.amatteroftime.com.au. J’ai aussi un compte Twitter : HAFOTO et un compte Instagram : HAFOTO. Je pense que les réseaux sociaux ont joué un rôle fondamental dans l’édition du livre grâce au financement participatif. Cela m’a aussi permis d’être en lien avec d’autres groupes et d’autres chercheurs, d’autres photographes documentaires et d’autres écrivains qui travaillent sur des projets semblables dans les communautés LGBTQI du monde entier.
Retrouvez l’interview d’Heather Faulkner en intégralité dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !