« Révéler les modèles et les règles silencieuses que la société et les différentes cultures imposent aux femmes pour les ‘protéger’ du monde et de ses possibilités », c’est le message de The Hungry Hearts, un groupe lesbien et féministe tout droit venu de Norvège, que Jeanne Magazine a rencontré lors de la 27e édition du festival Cineffable. Tonje Gjevjon nous présente ce groupe de Pin Up performeuses. Photos et propos recueillis par Sylviane Rebaud. Extrait de l’interview publiée dans le numéro de novembre de Jeanne Magazine.

Qui êtes-vous et d’où venez-vous ? Je suis avant tout une artiste visuelle. J’ai fait mes études aux Beaux Arts en Norvège. J’ai commencé comme peintre expressionniste, mais je me suis vite rendu compte que la scène et la vidéo convenaient mieux à ce que je voulais exprimer.

Comment le groupe The Hungry Hearts a-t-il vu le jour et quel en était l’objectif ? Nous voulions faire partie d’un groupe lesbien et féministe et comme il n’en existait pas, nous en avons créé un.

Vous vous définissez comme « Pin-Up Performance Band » (un groupe de performeuses pin-up). Qu’entendez-vous par là ? Dans la musique pop commerciale, les femmes sont typiquement représentées comme des objets ou des poupées ; et ça fait des siècles qu’on leur fait faire les mêmes chorégraphies soi-disant « sexy », dont l’objet est de séduire les hommes en prenant des poses souvent stupides et ridicules. Nous, on essaie de rendre les femmes sujets et non objets dans la conscience des spectateurs, et de les sensibiliser aux possibilités qui naissent quand on oublie les hommes et ces poses stéréotypées. Que se passe-t-il quand on prend sa représentation en main, quand on utilise sa tête et qu’on montre au monde qu’on se suffit à soi-même ? C’est le message de The Hungry Hearts : révéler les modèles et les règles silencieuses que la société et les différentes cultures imposent aux femmes pour les « protéger » du monde et de ses possibilités.

Edith est votre femme à la ville. Comment se passe la collaboration ? Nous travaillons vraiment bien ensemble, à la fois dans la création et dans les choses pratiques. Edith a de nombreux atouts: une belle voix, une vraie présence sur scène, et elle est très forte avec les ordinateurs et les systèmes de sonorisation. Et elle est aussi drôle et facile à vivre, ce qui est important dans un groupe. Henriette, celle qui insiste toujours pour porter sa robe rose à points blancs sur scène, qualifie Edith de « butch-femme » et elle a raison. Elle a tout pour elle !

Vous sortez prochainement votre album « Dyke Forever ». Où pourrons-nous nous le procurer ? Il était en prévente exclusive à Cineffable fin octobre, où nous nous sommes produites deux fois avec des titres du nouvel album. Si vous avez raté cette occasion, il sera disponible sur iTunes, Spotify, Wimp et plein d’autres plateformes de streaming probablement à partir de janvier 2016.

Parlez-nous de la situation en ce qui concerne mariage, PMA et adoption en Norvège. Quelles batailles faut-il encore mener ? En Norvège, les personnes LGBTQ ont exactement les mêmes droits que les hétérosexuels. Mais actuellement, les soi-disant féministes de droite, hommes comme femmes, rabâchent à longueur de discours qu’il n’y a plus de batailles à mener. Ils se disent féministes mais leur mission est de donner le libre choix aux femmes de… retourner à la cuisine. Ils semblent avoir ce besoin irrépressible de protéger exclusivement la position des femmes qui veulent rester à la maison avec les enfants. En 2014, un gouvernement de droite a été élu, au sein duquel trois femmes occupent les postes de premier ministre, ministre de la culture et ministre de la famille et de l’égalité. Or elles sont toutes contre la mise en place de solutions pratiques qui garantiraient l’égalité des salaires, tout comme l’augmentation de ceux qui sont attribués aux métiers typiquement féminins. Manifestement, elles ne comprennent pas qu’elles-mêmes ne seraient pas à leurs postes sans les féministes – les vraies, celles qui ont livré les batailles. En ce qui concerne les personnes LGBTQ, nous avons les mêmes problèmes que partout ailleurs: les hommes gays sont sur le devant de la scène et les lesbiennes sont négligées. Donc la discrimination structurelle des femmes est la même que dans le reste de la société.

Parlez-nous du féminisme en Norvège et des militant-e-s et des associations qui le portent… Aujourd’hui nous avons des femmes très fortes qui font avancer le féminisme dans la bonne direction. Ces femmes viennent souvent d’autres pays, comme Amal Aden de Somalie, Shabana Rehman du Pakistan et Sara Azmeh Razmussen de Syrie. Elles écrivent et parlent de l’égalité, des possibilités ouvertes aux filles et aux femmes, et elles expriment leurs idées à travers des livres, des one-woman shows, du militantisme, des performances et des débats. Leur contribution à la société norvégienne est d’une importance capitale. Mais les femmes militantes souffrent de deux choses : leur relative pauvreté, et les menaces (de mort, parfois) dont elles sont victimes parce qu’elles luttent pour que les femmes soient des individus libres. Ces femmes sont la Norvège moderne, et elles comprennent bien l’importance de l’égalité des salaires ; car en Norvège, si vous n’êtes pas riche vous n’avez aucune chance de prendre part au débat ou d’utiliser votre liberté d’expression. Seuls les riches le peuvent car ils n’ont pas à trouver comment nourrir leur famille et payer leur loyer. Les riches sont à l’abri – les pauvres gèrent leur vie au jour le jour. (…)

Quel est votre rêve le plus fou ? Une planète lesbienne dont je serais la présidente.

www.hungryhearts.no

Retrouvez l’interview de Tonje Gjevjon en intégralité dans le numéro de novembre de Jeanne MagazineEn vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !