Jeanne a réussi à entrer en contact avec Rory, une jeune lesbienne de Syrie, qui a dû fuir son pays. Après plusieurs mois d’un périple éreintant, la jeune femme est actuellement dans le sud de la Turquie et souhaite plus que tout rejoindre le Canada, pour y construire un avenir serein. Rory nous livre un témoignage bouleversant dans les pages de ce numéro d’octobre de Jeanne Magazine. Extrait.
Racontez-nous votre vie en Syrie en tant que lesbienne. Comment était-ce de grandir dans ce pays en étant homosexuelle ? C’était absolument horrible ! Je ne voulais pas me l’avouer et pendant longtemps j’ai vécu comme si ça n’était pas le cas. Je n’avais pas le courage d’essayer d’aller vers d’autres personnes homosexuelles, comme moi, je n’avais pas le courage d’être moi-même, j’avais bien trop peur. (…)
Avez-vous parlé de votre homosexualité à vos parents ? Je ne pense pas qu’un jour j’en parlerai à mes parents ! Cela pourrait être très dangereux et je ne veux pas perdre la relation que j’ai avec ma famille. Je les aime beaucoup et c’est réciproque. Et puis, c’est certain qu’ils ne l’accepteraient pas, qu’ils ne le comprendraient pas. Ils s’imagineraient que je suis malade. Et si mes frères l’apprenaient, je suis certaine qu’ils me tueraient. Ma sœur est la seule à le savoir et elle l’accepte. Nous vivons ensemble depuis notre départ de Syrie, je lui ai dit lorsque nous étions au Liban.
Pourquoi avez-vous pris la décision de quitter la Syrie ? Je suis partie parce que là où j’habitais, c’était la guerre. Et j’y ai vécu un événement particulier qui m’a poussée à partir définitivement.
Continuez… Alors que je revenais du Liban, mes bagages encore dans l’entrée de ma maison, l’alarme interdisant à quiconque de sortir de chez soi a retenti. Avec ma famille, nous sommes donc montés au premier étage pour nous cacher. Vers 2 ou 3 heures du matin, nous avons entendu des bombardements à proximité de chez nous. Le régime syrien avait installé un poste de contrôle à côté de notre immeuble, qui a été bombardé par l’armée libre. (…)
Actuellement en Turquie avec votre soeur, avez-vous tenté de vous rendre en Europe ? Nous avons failli perdre la vie en tentant de prendre la mer pour nous rendre en Grèce à bord d’une embarcation gonflable. Une nuit, alors que venions d’embarquer, la personne qui était censée diriger le bateau ne pouvait plus rien faire car le moteur ne fonctionnait pas bien. Nous étions alors ballottés par les flots jusqu’au moment où une plus grosse vague nous est tombée dessus, nous avons alors heurté les rochers. (…)
Vous vous êtes donc retrouvée au point de départ, sur la côte turque. Oui et ce n’était pas terminé ! Le passeur nous attendait sur la plage et nous a tous menacé avec une arme pour nous obliger à remonter sur cette même embarcation. Bien sûr, personne ne le voulait ! (…)
L’un de vos amis, Danny, syrien et homosexuel lui aussi, a eu la chance de pouvoir aller au Canada. Aujourd’hui, il souhaite vous aider à le rejoindre et pour cela, a créé une page de crowdfunding, car cela a un coût… J’ai rencontré Danny au Liban et nous sommes devenus inséparables jusqu’à ce qu’il parte. Il connaît ma situation et je lui suis reconnaissante de vouloir m’aider. Ce que je vis est tellement difficile, que parfois je perds confiance en l’avenir. Aujourd’hui, je ne peux pas construire mon futur et je ne peux pas non plus me développer en tant que personne à cause de ce qui se passe autour de moi. Danny essaye donc de m’aider à sortir d’ici. Je ne peux pas être ouvertement lesbienne ici en Turquie, je pourrais y perdre la vie. Je ne peux pas non plus porter ce que je veux en tant que femme, car c’est un pays avec des règles très strictes. (…)
Avez-vous rencontré d’autres réfugiés LGBT en Turquie ? Non, pas vraiment, même s’il doit y en avoir. Mais dans le sud de la Turquie, il est impossible d’en parler, impossible, comme je vous le disais, d’être ouvertement homosexuel. (…)
Au Canada, vous pourriez alors vous construire… Absolument ! Et ce, même si je devrai tout reconstruire en partant de zéro. Je déteste cette vie en Turquie et j’en suis arrivée à un point que je serai prête à risquer ma vie, à nouveau sur une embarcation par exemple, pour que tout cela s’arrête. Je ne veux plus vivre comme ça.
Retrouvez l’interview de Rory en intégralité dans le numéro d’octobre de Jeanne Magazine : N’oubliez pas qu’en soutenant Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !