Jusqu’au 5 juillet, le Canada, accueille la 7è édition de la Coupe du monde Féminine de la FIFA. Parmi les 24 équipes qualifiées, l’équipe de France, troisième nation mondiale, derrière l’Allemagne et les Etats-Unis, fait partie des favorites. Et qui mieux que Marinette Pichon, avec ses 112 sélections et son record du nombre de buts marqués en équipe de France féminine, pour nous parler de cette Coupe du monde de football féminin ? Pour Jeanne Magazine, l’ancienne internationale nous éclaire sur la compétition et l’évolution du football féminin, et elle nous parle également de la médiatisation de son homosexualité, en octobre 2012, lorsqu’elle est devenue la deuxième femme en France à obtenir un congé parental pour la naissance de son enfant. Extrait :
Vous avez commencé à jouer au football vers 5 ans dans une équipe qui ne comprenait que des garçons… Quel regard portez-vous sur cette époque ? Je voulais simplement prendre du plaisir en jouant. Les choses ont été assez faciles, car j’étais l’égérie et un peu la chouchoute du stade. C’était une très belle expérience et j’en garde de très bons souvenirs.
Votre carrière est un exemple pour beaucoup de joueuses, vous qui détenez encore aujourd’hui le record de buts marqués en Equipe de France. Quel est votre regard sur l’évolution du football féminin ? Je crois qu’il a beaucoup évolué de par la pratique et l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui vis-à-vis du grand public. Depuis 2011 et les belles performances de l’équipe de France féminine, cela a contribué à faire avancer et à promouvoir cette qualité qui est bien présente au rendez-vous. C’est un vrai bonheur de voir l’augmentation des licenciées qui a grimpé de plus de 30% en l’espace de quatre ans. Nous étions à 53000 licenciées et aujourd’hui, on compte à peu près 83000 joueuses. Et avec cette Coupe du monde de football, j’espère que l’équipe de France va monter sur le podium et que nous serons ainsi en capacité de continuer à développer cet intérêt suscité, en lien avec la fédération française de football.
Parlons de la Coupe du monde, les matchs se dérouleront sur des pelouses synthétiques. Quelles sont les caractéristiques d’une telle matière ? Il faut savoir que sur une pelouse synthétique, la vitesse du jeu est accélérée et les reprises d’appuis ne sont pas du tout les mêmes sur cette surface. La qualité va être au rendez-vous pour sûr, mais quand on tacle sur du synthétique, cela laisse malheureusement des traces sur les genoux. Pour y avoir un peu évolué pendant trois ans, je suis assez mitigée. Des études ont prouvé qu’il y avait plus de blessures sur les ligaments croisés à cause des appuis un peu fuyants. Ce n’est pas évident. Le parti pris de cette coupe du monde est de jouer sur du synthétique, il faudra faire avec et je pense que les joueuses de l’équipe de France s’y sont préparées de la meilleure manière possible.
Quels sont les points forts de l’équipe de France pour cette coupe du monde ? Je dirais tout d’abord le groupe et les individualités qui vivent à l’intérieur de ce groupe et qui fonctionnent bien tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. Pour ce qui est du jeu en lui-même, je dirais l’attaque et cette puissance offensive avec Gaëtane Thiney, Eugénie Le Sommer et Elodie Thomis sur le côté droit et un milieu de terrain orchestré par Amandine Henry et puis je pense aussi que défensivement, elles ont énormément progressé. Aujourd’hui, plus aucune grande nation ne fait peur à l’équipe de France.
Bonne nouvelle ! Alors l’équipe de France championne du monde, c’est envisageable ? Je crois que par rapport à tout ce qui a été réalisé depuis 2011, les Jeux Olympiques en 2012 et la phase de qualifications pour cette Coupe du monde, nous devrions pouvoir sortir du groupe (Angleterre, Colombie, Mexique) pour nous hisser en huitième de finale. Après, forcément il s’agit de matchs à élimination directe, il me semble que nous pourrions jouer l’Allemagne en quart de finale. Forcément à partir des huitièmes, tout est possible !
Parlons un peu des points faibles de l’équipe de France aujourd’hui ? Elles ont souvent eu l’habitude de marquer très rapidement et donc de mener au score, alors la difficulté pourrait se rencontrer si une équipe, face à elles, ouvre le score rapidement et qu’elles éprouvent des difficultés à développer leur jeu. Mais je ne vois pas beaucoup de faiblesses aujourd’hui à l’équipe de France, parce qu’elle a énormément progressé tant sur le plan mental que sur le plan athlétique et technique. Maintenant le tout sera de rester concentrées pendant les 90 minutes que dure le match, voire plus s’il doit y avoir du temps additionnel, pour ne pas reproduire des erreurs comme ce fut le cas en mai dernier contre la Russie, où elles ont concédé l’égalisation sur une erreur de jeu et de jeunesse avec Griedge Mbock Bathy qui n’a pas effectué le recul comme il aurait fallu le faire. Du coup, elle s’est fait éliminer à l’entrée de la surface et l’équipe de France a concédé l’égalisation. C’est des petits détails mais je pense qu’il faut rester concentré et continuer de faire ce que l’on sait faire et ne pas se focaliser sur l’adversaire. Je crois aussi qu’il faut être en harmonie avec le staff, car c’est eux qui détiennent toutes les clés et on peut leur faire confiance lorsqu’ils ont supervisé les trois équipes qui font partie de leur groupe afin qu’elles puissent en sortir première. Avec tout le travail qui a été fourni dernièrement, je pense et je l’espère, la France devrait terminer dans le dernier carré.
Sur le papier, quelle est, d’après vous, l’équipe favorite pour la compétition ? Je dirais qu’il y a quatre équipes favorites qui ressortent vraiment : l’Allemagne, les Etats-Unis, la France et la Suède.
Récemment France2 a même diffusé pour la 1re fois la finale de la ligue des champions entre PSG & Francfort. Quel impact pensez-vous que cette Coupe du monde aura sur le football et le monde du sport féminin en général ? Je pense que cette finale de Ligue des champions avec un club français en finale (c’est d’ailleurs la cinquième ou sixième fois qu’un club français se hisse en finale), c’est énorme. L’intérêt des médias est confirmé mais surtout celui du grand public ! Sur un jeudi soir, qui plus est, jour férié et en fin d’après-midi (18h), nous avons réalisé un 3 millions 400 d’audimat, cela prouve que le football féminin plaît de plus en plus. On sait cependant que cet emballement médiatique peut retomber à tout moment, il faut vraiment un bon résultat à cette coupe du monde pour entériner toutes ces années de travail et d’investissement et confirmer l’engouement à la fois médiatique, celui des sponsors et des licenciées. Il y a une sorte de pression mais qui ne doit pas peser sur les joueuses, cela ne rentre pas en ligne de compte dans le parcours de l’équipe de France.
Gaëtane Thiney a commencé dans le même club que vous… Retrouvez-vous des similarités dans vos jeux respectifs ? Oui complètement ! Je pense que la mixité fait beaucoup. On développe des côtés athlétiques, techniques plus nets et plus francs. Jouer avec des garçons impose de se hisser à leur niveau et on retrouve alors ces similitudes dans le positionnement, la rapidité de jeu, l’attaque du ballon et dans la niak ! Gaëtane l’a encore prouvé avec les deux buts qu’elle a inscrits face à la Russie. Elle donne sans rechigner tant d’efforts pour le groupe, je pense que c’est une mentalité qu’on a développée en jouant avec les garçons. Beaucoup de joueuses sont dans ce cas aujourd’hui, mais je pense que Gaëtane va être, aujourd’hui, un élément clé dans la réussite de cette équipe de France.
Quelles sont les qualités qui font une bonne joueuse de football ? Pour une bonne joueuse de haut niveau, il faut une bonne qualité technique, et aussi tactique afin de s’adapter à la problématique pour la comprendre et y répondre adéquatement. Bien sûr, il faut aussi une bonne capacité athlétique et dernier point mais non des moindres, la capacité psychologique !
Certaines joueuses qui participent à cette coupe du monde, comme Megan Rapinoe et Abby Wambach sont ouvertement out, d’autres préfèrent taire leur sexualité. Avez-vous de votre côté subi de l’homophobie pendant votre carrière ? Non, parce que je n’ai jamais laissé la place à cela et que c’est mon choix de vie qui ne regarde personne d’autre. Je ne juge personne alors je ne veux pas que les gens se permettent de me juger. Il y a des choses beaucoup plus inquiétantes qui se passent dans cette société et oui, je suis homo, mais je ne demande pas l’aval de Pierre, Paul ou Jacques pour être heureuse. C’est ma vie et si j’avais dû être confrontée à des propos homophobes, ça se serait mal passé et j’aurai recadré la personne, voire j’en serais venue aux mains pour lui dire « ferme ta gueule, tu es qui pour me juger ».
Vous avez publiquement parlé de votre homosexualité et avez été très médiatisée en octobre 2012 lorsque vous êtes devenue la deuxième femme en France à obtenir un congé pour la naissance de votre enfant. Etait-ce, pour vous, important de pouvoir en parler publiquement pour faire avancer les mentalités ? Oui bien sûr, parce qu’on voit encore beaucoup trop de choses aujourd’hui. Alors si ma petite voix peut aider à ce que de jeunes garçons et de jeunes femmes puissent se sentir bien, et éviter de voir des enfants se suicider à cause de l’ouverture d’esprit très limitée de certains. Si en parler peut permettre à quelques personnes de se sentir mieux alors oui, indirectement, on devient militant. Je pense à ce jeune gamin qui a perdu la vie pour avoir défendu ses idées, ce genre d’histoires n’a pas lieu d’être dans notre monde actuel. C’est un peu comme si j’allais frapper sur quelqu’un qui préfère une Peugeot au lieu d’une Renault. Aujourd’hui, on arrive à développer une haine de l’autre pour des choses infimes.
D’ailleurs, comment avez-vous vécu les débats du mariage pour tous ? On a passé deux mois et demi à débattre là-dessus alors qu’en une semaine cela aurait dû être fait ! Il n’y a pas besoin de monter les gens les uns contre les autres et de mettre en lumière des gens comme Frigide Barjot, qui est complètement frappadingue et qui ameute les gens pour aller dans son sens alors qu’elle-même mène un style de vie complètement particulier. Laissons les gens évoluer et avoir leur opinion, discutons-en mais que cela prenne de telles proportions, c’est impensable. Quand parlerons-nous plutôt des vrais problèmes : la courbe du chômage qui ne cesse de grimper, les logements, les fermetures d’entreprises…
Retrouvez les 4 pages d’interview de Marinette Pichon, également la marraine de Qwinsport, la marque des footballeuses qui gagne du terrain, en intégralité dans le numéro de juin de Jeanne Magazine : n’oubliez pas qu’en soutenant Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !
Photo : @equipedefrance