Depuis des décennies, les récits de voyage ont été dominés par des voix masculines, laissant peu de place aux expériences et perspectives féminines. Mais une révolution médiatique est en marche, incarnée par Flaneries, un fanzine de voyage féministe qui vise à changer la donne. Rencontre avec Paule-Elise, l’une des fondatrices du projet, qui nous a plongées au cœur de sa vision engagée.
Quelles sont les principales motivations qui vous ont poussée à lancer un fanzine de voyage féministe et en quoi diriez-vous qu’il est essentiel d’intégrer une perspective féministe dans le récit du voyage ? Comme dans beaucoup de domaines, les voix des femmes sont sous-représentées dans les récits de voyage que l’on trouve en librairie. Notre objectif est donc de donner de la visibilité à d’autres récits sur le voyage, et bien sûr aux voix des femmes et des personnes trans et non-binaires. Par une perspective féministe, nous espérons dépoussiérer un genre (le récit de voyage) qui a souvent contribué à créer des stéréotypes sur les populations des lieux visités et à conforter la posture de l’homme occidental blanc et bourgeois comme figure de l’aventurier/explorateur. Or, comme écriture de l’autre et comme écriture de soi, le récit de voyage peut être beaucoup plus riche, moderne et enthousiasmant que cela !
Nous entendons d’ailleurs « écriture » au sens large, car ce renouvellement du contenu peut aussi passer par un renouvellement de la forme. Les personnes qui veulent nous envoyer une contribution peuvent le faire par du récit à la première personne, mais aussi du reportage, de la fiction, de la poésie et bien sûr de l’image (photo, illustration, bande dessinée…).
Pouvez-vous nous parler du premier numéro qui a pour thème « Voyager ensemble », et pour lequel vous avez lancé un appel à contributions ? Nous avons immédiatement pensé à explorer la thématique du lien pour ce premier numéro. Comment, dans une relation, le voyage occupe un moment à part ? Comment permet-il des confidences, des rapprochements, ou parfois aussi des galères ou des disputes inoubliables ? Comment le voyage sans homme cis devient un espace de partage privilégié ? Ce sont ces histoires que nous avons envie d’entendre, des histoires de voyage en famille (mère-fille, tante-nièce, marraine-filleule…), en couple, entre amie∙xs ou collègues… Notre appel à contributions est ouvert jusqu’au 15 juin, alors si ce thème vous parle, n’hésitez pas à partager vos souvenirs avec nous !
Dans un monde où les récits de voyage sont souvent dominés par des voix masculines, comment espérez-vous que Flaneries contribuera à une plus grande représentation des expériences et perspectives féminines ? C’est un projet humble sur lequel nous avançons doucement, car c’est une première pour notre petite équipe de porter ce genre d’initiative. Nous apprenons en faisant, comme on dit, mais nous sommes très motivées pour nous faire une place dans le paysage du récit de voyage ! La dimension collective est essentielle pour nous : aller découvrir de nouvelles voix, les rassembler dans le fanzine, les diffuser autour de nous. Il n’y a pas assez d’espaces pour promouvoir ce type de récits, si l’on y pense. La presse féministe ne traite pas vraiment du voyage (peut-être considéré comme un sujet futile alors qu’il regroupe pourtant des thématiques vraiment intéressantes à traiter d’un point de vue féministe, comme la liberté de mouvement ou le rapport à l’espace public pour les personnes minorisées), et la presse voyage n’est pas vraiment féministe (il y a bien sûr des articles écrits par des femmes, mais qui n’ont pas forcément un angle féministe). Donc il y a tout à faire, en fait !
Nous espérons également participer à des événements autour du voyage, et organiser aussi des événements autour du fanzine afin de créer une communauté qui se retrouve dans ce que nous défendons.
Pourquoi avez-vous choisi le titre Flaneries pour votre fanzine féministe sur le voyage ? Qu’est-ce que ce terme évoque pour vous et comment pensez-vous qu’il reflète l’essence de votre projet ? Très bonne question ! Ce titre est un clin d’œil au livre de Lucie Azema Les femmes aussi sont du voyage, sorti en 2021 chez Flammarion. Azema consacre un chapitre à la flânerie, et ce chapitre nous avait toutes marqué, alors quand il a fallu trouver un nom pour le fanzine, c’est apparu comme une évidence ! Azema écrit : « Pour les femmes, le simple fait d’errer sans but dans les rues est déjà un acte de transgression – sans même parler de partir en voyage à l’autre bout du monde ou de suivre les pistes caravanières. »
Flâner, c’est un luxe qui a longtemps été masculin et qu’il est important selon nous que les femmes et les personnes queer s’approprient. C’est aussi une attitude envers la vie, une façon de se laisser porter, de prendre du temps pour rien de spécial, de s’en remettre au hasard, de ne pas être performative à tout prix. Il y a un côté anti-capitaliste peut-être dans la flânerie. Enfin, c’est une manière de dire à nos contributeurices qu’il n’y a pas besoin de raconter un voyage lointain (et souvent cher, donc) pour être publiée dans notre fanzine. Toute flânerie, même tout près de chez soi, est une aventure potentielle.
À travers Flaneries, vous visez à rassembler différents récits et points de vue. Quelles sont, par exemple, les perspectives sous-représentées que vous espérez mettre en avant ? Dans l’équipe du fanzine, nous sommes chacune très sensibilisées, voire touchées personnellement, par des questions liées à la queerness, à la non-binarité, à différentes formes de handicap ou d’atypicités cognitives ou encore à la santé mentale. Nos discussions enrichissent le projet et cela se reflètera forcément dans le contenu du fanzine. Les expériences féminines et queer sont riches, et il y a de la place pour tous types de voix dans notre projet, et notamment pour les personnes qui sont susceptibles d’être multi-discriminées (femmes et racisées, par exemple).
Nous réfléchissons beaucoup à la question de l’accessibilité. C’est d’abord un véritable enjeu quand il s’agit de voyager, car les personnes vivant avec certains types de handicap rencontrent de grandes difficultés très concrètes dans leurs déplacements. Pour le fanzine plus spécifiquement, nous choisirons des polices et une mise en page qui soient les plus lisibles possibles pour les personnes ayant des troubles dys, par exemple. Nous prévoyons aussi de faire une version audio gratuite afin de rendre le contenu accessible aux personnes malvoyantes ou aveugles, mais aussi à toute personne préférant l’audio ou n’ayant pas les moyens d’acheter le fanzine.
Quels messages souhaitez-vous transmettre aux lecteur⋅ice⋅s de Flaneries ? Pour ce type de projet, le bouche à oreille est essentiel, alors on compte sur vous, sur vos contributions et sur votre soutien ! Et surtout, si vous avez cette petite voix qui vous dit « J’ai envie de participer, mais je ne sais pas si je suis assez ceci ou assez cela », bref si vous avez comme nous le syndrome de l’impostrice, essayez de le dépasser ! On sera vraiment heureuses de vous lire et on est aussi disponibles pour répondre à toutes vos questions.
Retrouvez toute l’actualité de Flaneries sur Instagram.
Appel à contributions au premier numéro du fanzine sur le thème « Voyager ensemble » est ouvert jusqu’au 15/06/23 et disponible sur ce lien.
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