« Garbo rêvait d’interpréter le rôle de Dorian Gray, un scénario avait même été écrit à sa demande, mais la MGM s’est opposée à ce projet. Garbo dans un rôle d’homme, c’était impensable ! Quand j’ai appris l’existence de ce projet avorté, j’ai tout de suite vu les liens qui pouvaient être tissés entre la personnalité de Gray et celle de Garbo. De quelle manière l’un et l’une pouvait être le révélateur de l’autre, à travers des thématiques comme la peur de vieillir, la tyrannie de la beauté, la solitude… »
Avec Le Portrait de Greta G., Catherine Locandro nous invite à plonger dans la vie de Greta Garbo et à découvrir les multiples facettes de l’icône d’Hollywood. Un roman à tiroirs très documenté mêlant réalité et fiction qui revient notamment sur ses bras de fer avec les studios, sa correspondance avec Mimi Pollack et ses amours féminines.
Avec ce nouveau roman, vous nous emmenez sur les traces de Greta Garbo. Pourquoi avoir choisi cette actrice en particulier ? Qu’est-ce qui vous a le plus fasciné, surpris et ému dans son parcours ? Cela faisait très longtemps que j’avais envie d’écrire sur Greta Garbo. J’ai découvert cette actrice à l’adolescence, grâce au premier album de Mylène Farmer, Cendres de lune, sorti en 1986, que j’écoutais alors en boucle. Un des morceaux s’appelait Greta, j’étais très intriguée… Lorsque j’ai compris qu’il s’agissait de Garbo, je suis allée dans une librairie et j’ai acheté une biographie que j’ai dévorée en quelques heures. Sa personnalité m’a immédiatement fascinée, ses amours féminines aussi… Comme beaucoup de jeunes gays et lesbiennes de cette époque, j’étais en manque de représentations et de modèles, et donc à l’affût de tout ce qui pouvait traiter de l’homosexualité. Un peu plus tard, je l’ai vue pour la première fois à la télévision dans Le roman de Marguerite Gautier, réalisé par George Cukor. Là aussi, j’ai été éblouie. Son visage, sa voix, son jeu… Lorsque j’ai commencé à être publiée, à partir de 2004, j’ai souvent pensé à écrire sur elle, mais je n’arrivais pas à trouver de quelle manière, sous quel angle le faire. Celui de la biographie, de la fiction ? Je n’étais certainement pas prête… Le temps a passé, et lorsqu’Adeline Fleury, directrice littéraire de la collection Les Audacieuses, aux éditions Les Pérégrines, m’a demandé si cela m’intéressait d’écrire pour cette collection, et si j’avais une idée de personnalité féminine sur laquelle écrire, cela m’a paru évident, j’ai proposé Garbo. Pour moi, c’était la réalisation d’un « rêve d’écriture » que je portais depuis si longtemps ! Je me suis donc replongée dans son histoire, et ce qui m’avait fascinée lorsque j’avais 13 ans m’a une nouvelle fois passionnée : sa modernité, sa singularité, sa manière de tenir tête aux studios hollywoodiens… Et aussi, ce qui lui venait de son enfance et qu’elle a gardé jusqu’à son dernier souffle, sa timidité, sa solitude, un certain complexe d’infériorité, ce sentiment de n’être jamais tout à fait à sa place… toutes ces choses que je trouve infiniment touchantes.
Comment qualifieriez-vous le travail de recherches que vous avez effectué pour l’écriture de ce roman inspiré de faits réels ? Je le qualifierais de conséquent et de minutieux ! Je souhaitais disposer du maximum d’éléments me permettant, si ce n’était d’entrer dans la « psyché » de Garbo, du moins d’en être le plus près possible. Je voulais donner la parole à cette grande « muette », et ne surtout pas la trahir. Outre les différentes biographies, j’ai lu beaucoup de choses sur le Hollywood du début du 20ème siècle, et sur la façon dont on y avait traité les homosexuels. J’ai également appris beaucoup de choses sur le rôle primordial joué par les femmes lors de la création des studios… Ces productrices, ces réalisatrices, ces femmes d’affaires, toutes ces pionnières peu à peu évincées par les hommes et oubliées par l’Histoire du cinéma. Garbo, à sa façon, a elle aussi été une pionnière, en exigeant de toucher un « salaire honnête » pour ses films, c’est-à-dire d’être aussi bien payée que ses partenaires masculins, ce qui était du jamais vu à Hollywood !
Ce livre est aussi une fiction puisqu’il nous plonge au cours d’une projection du film Le portrait de Dorian Gray, dans lequel elle tient le rôle-titre et qui aurait dû marquer son retour au cinéma. Comment vous est venue l’idée de vous appuyer sur ce film pour aborder la complexité et les différentes facettes de l’actrice ? Quand on se penche sur le parcours et la filmographie de Garbo, on se rend compte qu’il existe une sorte de filmographie « fantôme », composée de tous les films qu’elle aurait pu tourner et qui ne se sont pas faits. Il y a ceux qu’on lui a proposés après qu’elle ait pris la décision d’arrêter le cinéma, en 1941, et ceux qu’elle aurait aimé tourner mais que la MGM a refusé qu’elle fasse. Parmi ceux-là, il y a l’adaptation du Portrait de Dorian Gray, d’Oscar WIlde. Garbo rêvait d’interpréter le rôle de Dorian Gray, un scénario avait même été écrit à sa demande, mais la MGM s’est opposée à ce projet. Garbo dans un rôle d’homme, c’était impensable ! Quand j’ai appris l’existence de ce projet avorté, j’ai tout de suite vu les liens qui pouvaient être tissés entre la personnalité de Gray et celle de Garbo. De quelle manière l’un et l’une pouvait être le révélateur de l’autre, à travers des thématiques comme la peur de vieillir, la tyrannie de la beauté, la solitude… J’ai donc décidé d’exaucer le vœu de Garbo et j’ai imaginé que ce film avait été réalisé, avec l’actrice suédoise dans le rôle-titre. À travers la projection de ce film, c’est Garbo qui nous est révélée.
Ce roman aborde également le code Hays et les mariages de lavande, en quoi était-ce important pour vous de revenir sur la censure hollywoodienne et sur le fait que les acteur·ice·s étaient obligés de cacher leur orientation sexuelle ? Mes recherches sur l’histoire d’Hollywood m’ont amenée à comprendre à quel point les studios avaient été hypocrites vis-à-vis des nombreux homosexuels qui peuplaient leurs rangs. Hollywood a aussi été créé par les homosexuels, et on exigeait d’eux qu’ils se cachent, qu’ils renient publiquement ce qu’ils étaient. Quant au code Hays, qui a amené Hollywood à s’autocensurer entre 1934 et 1966, il interdisait notamment que l’on aborde le sujet de l’homosexualité dans les films. Même si cette censure n’existe plus aujourd’hui, il y a encore à Hollywood des actrices et des acteurs qui préfèrent rester dans le placard de peur de voir leur carrière mise en danger. Je trouvais intéressant, et important, de remonter à la source de ce problème auquel Garbo, elle aussi, a été confrontée.
Quels sont vos projets à venir ? Je travaille sur plusieurs projets de romans graphiques, que je coécris avec Fabienne Blanchut. Le premier sortira en septembre 2023 et s’intitulera « Un été loin des hommes ». Il y est question d’une adolescente, et de l’été durant lequel elle prend conscience de son attirance pour les femmes…
Le portrait de Greta G. de Catherine Locandro (Editions Les Pérégrines)
Photo © Fabienne Blanchut
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