Présenté en février dernier lors de la 72e édition de la Berlinale, Nelly & Nadine y a reçu le Teddy Jury Award. Réalisé par Magnus Gertten, ce documentaire retrace l’histoire d’amour entre Nelly Vos et Nadine Hwang, deux rescapées du camp de concentration de Ravensbrück, lieu où elles se sont connues pour la première fois. Au-delà de cette rencontre au milieu de l’horreur, le film raconte comment elles ont passé le reste de leur vie ensemble, tout en cachant à leurs proches la véritable nature de leur histoire. Un documentaire aussi rare que puissant qui devrait sortir dans les salles françaises d’ici la fin de l’année.
La genèse de l’histoire
Nelly & Nadine s’ouvre sur une vidéo d’archive montrant des centaines de survivant.es revenant des camps de concentration dans le port de Malmö en Suède. Le réalisateur Magnus Gertten avait déjà utilisé ces images pour ses précédents films Harbour (2011) of Hope et Every Name has a Face (2015). Dans ce nouveau documentaire, il se concentre sur un visage en particulier. Celui de Nadine Hwang, qui fixe la caméra avec un air songeur, presque interrogateur. Pourquoi cette femme et pas une autre ? Parce que derrière son regard perçant, ce n’est pas seulement l’histoire d’une rescapée qui se cache. C’est le récit d’une histoire d’amour insoupçonnée qui a dépassé les frontières.
Pour retracer la vie de Nadine, Magnus Gertten commence son voyage dans une ferme du sud de la France, chez Sylvie Bianchi. Elle est la petite-fille de Nelly Vos, une ancienne cantatrice belge arrêtée en Paris en 1943 et elle aussi rescapée du camp de Ravensbrück. La veille de Noël, en 1944, elle est invitée à chanter devant les soldats et les prisonnières, pour la plupart françaises. Dans l’assemblée, une voix plus forte que les autres réclame l’opéra « Madame Butterfly ». Cette voix c’est celle de Nadine, qui partagera tous les jours son pain avec Nelly et qui deviendra le grand amour de sa vie. Grâce au journal intime de Nelly et aux vidéos, photos et documents audio que garde Sylvie dans son grenier, l’histoire se révèle devant nos yeux. La particularité du documentaire est que nous découvrons en même temps que Sylvie l’ampleur de la relation entre Nelly – surnommée Claire par son amante, du nom qu’elle portait lorsqu’elle agissait pour la résistance – et Nadine. Jusque-là, la petite-fille de la cantatrice belge n’avait pas réussi à consulter ces archives tant l’émotion était grande. Elle n’avait donc pas conscience que sa grand-mère était amoureuse de Nadine.
Un amour resté secret
Si la famille proche n’était pas au courant du véritable lien qui unissait Nelly et Nadine, c’est parce qu’elles n’en ont jamais parlé. Il y avait pourtant des indices : elles n’avaient pas de mari et se sont installées ensemble au Vénézuela pour y couler des jours plus apaisés, loin du traumatisme de la guerre. Mais à l’époque, on ne questionnait pas ces choses-là. Et pour ne pas éveiller les soupçons, les deux femmes se présentaient comme des « cousines » aux gens qu’elles côtoyaient à Caracas. Elles fréquentaient des amis homosexuels qui se cachaient eux aussi et qui menaient des doubles vies. L’une bien rangée avec femme et enfants et l’autre plus secrète avec un amant. Il était plus facile de se taire que de vivre son amour au grand jour, au risque d’être confronté à la violence de la société qu’elles avaient déjà subie de façon inimaginable.
Heureusement, le journal intime de Nelly ne laisse aucune place au doute. Son amour pour Nadine résonne dans chaque page, son désir de la retrouver après la guerre étant plus fort que tout. Si Nelly ne semblait pas avoir connu une relation avec une femme auparavant, Nadine, de son côté, n’était pas éloignée du cercle lesbien parisien. On apprend qu’elle fréquentait le salon de Natalie Clifford Barney. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est parce qu’elle est devenue une figure iconique de la culture lesbienne. Vous connaissez d’ailleurs peut-être son ancienne adresse, le « Temple de l’Amitié », au 20 rue Jacob à Paris. Ce lieu préservé du regard des passants a été récemment le cadre d’une interview de Céline Sciamma par Augustin Trapenard pour le média Brut. C’est là, dans les années 1910, que Natalie Clifford Barney créera l’un des salons littéraires les plus influents où se succédera une centaine d’artistes parmi lesquelles les poétesses et écrivaines Colette, Gertrude Stein, Edna St.Vincent Millay et Françoise Sagan. Selon les archives, Nadine était l’une des nombreuses amantes de Natalie et semblait être tombée amoureuse de cette femme de lettres ouvertement lesbienne qui brisa bien des cœurs.
Grâce à des documents aussi rares que précieux, Nelly & Nadine parvient à visibiliser des femmes restées malgré elles dans l’ombre. Des héroïnes courageuses qui ont surmonté l’indicible en restant fidèles à leurs sentiments. Nelly & Nadine n’a pas encore trouvé de distributeur en France mais les producteurs envisagent une sortie chez nous dans le courant de l’année. En attendant, pour les Parisiennes intéressées, le documentaire sera projeté au Centre Pompidou le 24 juin prochain à 20h pour la reprise de la Berlinale. Un rendez-vous à noter dans vos agendas.
Par Fanny Hubert
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