Nous sommes en 1922. Virginia Woolf et Vita Sackville-West, deux autrices célèbres et pionnières en leur temps, se rencontrent pour la première fois. S’ensuit une passion dévastatrice et bouleversante qui donnera naissance en 1928 à l’un des chefs-d’œuvre de Virginia Woolf, Orlando. Cette histoire est au cœur du nouveau film de Chanya Button,Vita & Virginia, qui sort dans les salles françaises aujourd’hui. Adapté de la pièce de théâtre éponyme d’Eileen Watkins, le deuxième long-métrage de la réalisatrice britannique est une très grande réussite et on vous dit tout de suite pourquoi il ne faudra le rater sous aucun prétexte.
Des personnages en avance sur leur temps
Bien que l’histoire se déroule en 1922, Vita & Virginia n’a rien d’un film d’époque classique. C’était d’ailleurs l’une des principales envies de Chanya Button qui voulait donner à son long-métrage un côté « contemporain, osé, voire un peu punk« . Et on imagine mal le contraire tant les personnages de Vita et Virginia sont en avance sur leur temps. Les deux femmes de lettres faisaient notamment partie du Bloomsbury Group, un groupe d’intellectuels dont les discussions sur l’art, la sexualité et le féminisme étaient d’une modernité assez controversée pour l’époque. En janvier 1921, Vita Sackville-West s’enfuit pendant six semaines en France avec l’écrivaine Violet Trefusis, qui était sa maîtresse depuis plusieurs années. Elle ne retourne en Angleterre que lorsque son mari Harold (lui-même bisexuel) menace de rompre. La jeune femme était non seulement avant-gardiste dans ses relations amoureuses mais aussi dans sa manière de s’habiller, qui oscillait entre tenues très féminines et look androgyne, ce que le film met très bien en avant. De son côté, Virginia épouse Leonard Woolf avec qui elle fonde la maison d’édition Hogarth Press qui publiait notamment les ouvrages des membres du Bloomsbury Group. Leonard était d’ailleurs un fervent féministe qui reconnaissait volontiers l’existence du génie féminin. Rappelons également qu’Orlando raconte l’histoire d’un noble anglais qui devient une femme, un sujet précurseur en ce début de 20e siècle. Au-delà de ses personnages, la modernité du film passe aussi par l’utilisation d’une bande originale – signée Isobel Waller-Bridge – assez anachronique qui privilégie des sons très contemporains mais qui n’en reste pas moins totalement en accord avec ce que l’on voit à l’écran.
Apprivoiser son désir
Lorsque l’on pense à Virginia Woolf, on imagine à juste titre une femme très complexe qui se battait avec ses propres démons. L’un de ses démons était notamment son désir, qu’elle n’arrivait pas à apprivoiser. La sexualité était une telle épreuve pour elle que le simple fait de l’envisager était douloureux. Sa rencontre avec Vita, jeune femme libérée, sans tabou, passionnée et de dix ans sa cadette, lui fera véritablement prendre conscience de ce désir enfoui en elle depuis si longtemps et qui ne demandait qu’à s’épanouir. Le film dépeint à merveille cet apprentissage du désir et cet éveil à la sexualité. Le personnage de Virginia n’est jamais aussi touchant que lorsqu’il se confie sur cette difficulté à s’ouvrir physiquement à l’autre. Lorsque cela arrive enfin, les dialogues entre Vita et Virginia sont d’une parfaite justesse – certains ont d’ailleurs été directement repris de leur correspondance entretenue pendant 18 ans – et la passion qui anime les deux femmes se muent en une histoire d’amour bouleversante. Alors que son entourage pense que cette relation l’affaiblira encore plus, Virginia fait de ce désir une force qui lui redonne l’inspiration et l’amène à écrire Orlando, en hommage à sa bien-aimée. Se dévoile alors une autre facette de l’écrivaine, plus dominatrice et plus sûre de ses sentiments, prête à surmonter les crises qui la paralysaient autrefois.
Un film poétique porté par un duo parfait
La mise en scène du film fait la part belle à une poésie et un onirisme qui nous donnent principalement accès au point de vue de Virginia. Lorsque celle-ci a une crise, ses hallucinations prennent le dessus et se matérialisent à l’écran. Cela donne lieu a des visions surréalistes qui s’inscrivent dans ce réalisme magique voulu par la réalisatrice. Des corbeaux menaçants, des fleurs qui poussent sur le plancher et sur les murs… autant d’éléments fantastiques qui nous plongent au plus profond de l’âme vibrante de Virginia. Une âme qui déborde et finit par prendre totalement possession du décor. Chanya Button privilégie également les flous artistiques pour appuyer la relation épistolaire entre Vita et Virginia et les zones d’ombre qui planent sur leur amour. Si les deux femmes sont libres de penser et d’aimer qui elles veulent, elles n’en restent pas moins prisonnières de leur passion. À la manière de ce flou qui brouille leur visage, elles n’auront jamais totalement accès à cette autre qui n’en finit pas de leur échapper. Se mettre dans la peau de Virginia Woolf était un défi pour le moins difficile à relever mais Elizabeth Debicki, qui a remplacé Eva Green choisie au départ pour incarner l’écrivaine, s’en sort très bien. Quant à Gemma Arterton, on peut affirmer qu’elle a trouvé ici l’un de ses plus beaux rôles. Le personnage de Vita lui va à merveille et son naturel crève l’écran. L’alchimie du duo ne fait aucun doute et l’émotion que les actrices dégagent est contagieuse. Vita & Virginia est donc le récit émouvant d’une passion singulière entre deux femmes brillantes, modernes et complexes que l’on vous invite à découvrir le 10 juillet prochain lors de sa sortie en salle.
Par Fanny Hubert
Cet article a été publié dans un précédent numéro de Jeanne Magazine. Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100% lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100% indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à acheter le magazine à l’unité, à commander votre exemplaire papier du premier hors-série ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !