Attendu en France le 6 février prochain, le film La Favorite réalisé par Yorgos Lanthimos (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré) est en tête de la course aux Oscars aux côtés de Roma de Alfonso Cuaron, avec dix nominations chacun. Le 25 février prochain, le triangle amoureux lesbien pourrait repartir avec le prix du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario original, de la meilleure photographie, du meilleur montage, des meilleurs décors et des meilleurs costumes, et ses trois actrices principales sont nommées : Olivia Colman, qui a remporté la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine lors de la dernière édition de la Mostra de Venise et le prix de la Meilleure actrice dans une comédie ou une comédie musicale aux Golden Globes 2019, est nommée dans la catégorie meilleure actrice, et Emma Stone et Rachel Weisz sont toutes deux nommées dans la catégorie du meilleur second rôle féminin.
A cette occasion, nous vous invitons à (re)découvrir la critique du film publiée dans le numéro de novembre de Jeanne Magazine.
La Favorite, un triangle amoureux jubilatoire
On est au début du 18e siècle en Angleterre. La reine Anne n’est pas en bonne santé et se repose beaucoup sur sa confidente et favorite Lady Sarah pour prendre des décisions importantes. Quand Abigail Hill, une ancienne aristocrate ruinée, débarque à la cour, Sarah fait d’elle sa servante personnelle et pense avoir trouvé une alliée. Mais les rivalités et les trahisons ne tardent pas à entacher cette nouvelle relation qui aura des répercussions sur la reine et sur la guerre que mène l’Angleterre à la France.
Un théâtre fantasque à la mise en scène efficace
Après The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, Yorgos Lanthimos est de retour avec une intrigue toujours aussi surprenante mais qui s’avère être la plus aboutie de sa filmographie. Si La Favorite est un film d’époque avec costumes et perruques d’un autre temps, ne vous attendez à rien de traditionnel. Le réalisateur grec fait de la reine et sa cour les personnages hauts en couleur de ce qui ressemble à une troupe de théâtre où tout le monde a un rôle bien précis à jouer.
Ce théâtre fantasque est figuré par une mise en scène particulièrement travaillée et une photographie splendide signée Robbie Ryan (chef opérateur attitré d’Andrea Arnolds notamment). Yorgos Lanthimos continue d’explorer des idées de réalisation radicales en se servant cette fois-ci sans retenue des objectifs grand angle et de l’effet fisheye. Une manière d’étouffer ses trois héroïnes dans des espaces pourtant très grands mais qui finissent par provoquer une sensation de claustrophobie.
Sarah, Anne et Abigail sont bel et bien enfermées dans ce palais aux couloirs qui renferment de nombreuses intrigues royales et des secrets pas si bien gardés. La caméra s’attarde peu sur un seul personnage et use abondamment de panoramiques pour créer un mouvement permanent qui a souvent des allures de parties de ping-pong où les balles deviennent des jouxtes jouissives entre les trois femmes. L’utilisation des fondus enchaînés reflète aussi l’entremêlement des protagonistes qui ne peuvent évoluer l’une sans l’autre.
Moderne et jubilatoire
Triangle amoureux lesbien, course de canards et de homards, sautes d’humeur improbables… voilà un aperçu de ce qui vous attend dans La Favorite. Le scénario de Deborah Jean Davis et Tony McNamara est aussi jubilatoire que moderne. On retiendra cette danse totalement hilarante entre Sarah et un homme de la cour ou encore cette scène un peu gênante où Abigail surprend Sarah et Anne en pleins ébats et tente de s’échapper discrètement.
Les dialogues ont le mérite d’être particulièrement savoureux et ne s’embarrassent d’aucun cliché ni tabou. Anne n’hésite pas à rendre Sarah jalouse avec des répliques bien senties tandis qu’Abigail mène son prétendant à la baguette et domine le jeu. Si la violence se fait de plus en plus physique, elle est au départ d’ordre rhétorique et accentue l’hypocrisie qui s’immisce entre les lignes. Seul bémol : l’histoire aurait mérité d’être écourtée de 15 minutes. Cela aurait évité une fin qui traîne un peu trop en longueur mais qui est heureusement audacieuse.
Longue vie à la reine !
Réunir Olivia Colman, Emma Stone et Rachel Weisz dans un même film était déjà la promesse d’un trio à la perfection indéniable. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est à la hauteur des attentes. Emma Stone choisit décidément bien ses rôles et peut ici s’en donner à cœur joie avec un personnage cruel et piquant à souhait qui prend toute son ampleur au fil du film. Après The Lobster, Rachel Weisz se retrouve devant la caméra de Yorgos Lanthimos pour la seconde fois. Elle donne à Lady Sarah une dimension aussi touchante qu’implacable et c’est toujours un plaisir de voir l’actrice en aussi grande forme, après l’avoir adorée cette année dans Désobéissance.
Place maintenant à la reine qui n’est autre que la formidable Olivia Colman. Le prix qu’elle a raflé à Venise se comprend désormais comme une évidence. L’actrice britannique rajoute à sa carrière déjà très prestigieuse un rôle où elle est bluffante de bout en bout. Possédée par une folie soudaine, brisée par la perte de ses enfants, amoureuse de ses favorites et handicapée par des crises de plus en plus douloureuses, Olivia Colman fait d’Anne un personnage à la force si émouvante qu’on lui ferait presque nous aussi une révérence. C’est d’ailleurs elle qui a été choisie pour être en lice dans les nommées à l’Oscar de la Meilleure Actrice l’année prochaine. On lui souhaite bonne chance et on attend avec encore plus d’impatience sa future interprétation de la reine Élisabeth II dans la saison 3 de The Crown.
On espère donc vous avoir convaincu de noter sans plus attendre la date du 6 février 2019 dans vos agendas pour aller voir La Favorite dans les salles et apprécier une vraie proposition de cinéma aussi unique que maitrisée.
Par Fanny Hubert