Nommée avec Emma Stone (Birdman), Laura Dern (Wild), Meryl Streep (Into the Woods) et Keira Knightley (Imitation Game), Patricia Arquette a reçu cette nuit l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour son rôle dans Boyhood, celui d’une mère qui élève seule ses deux enfants. Dans son discours de remerciements, l’actrice a lancé un appel à l’égalité des droits aux Etats-Unis : « A toutes les femmes qui ont enfanté, à tous les contribuables et à tous les citoyens de ce pays, nous nous battons pour l’égalité des droits. Il est temps pour nous les femmes, d’obtenir l’égalité salariale et l’égalité des droits aux Etats-Unis ». Un discours très applaudi notamment par Meryl Streep et Jennifer Lopez…
En juillet dernier, Patricia Arquette, en plein tournage du spin-off des Experts, nous avait fait l’immense plaisir de nous accorder une interview dans le numéro de juillet de Jeanne Magazine, dans laquelle elle se confie sur des sujets qui lui tiennent à cœur. A commencer par GiveLove, l’ONG qu’elle a cofondée en 2010, de l’égalité des droits entre homos et hétéros, et de Boyhood, un film extraordinaire, tourné sur une période de douze ans, qui raconte l’enfance puis l’adolescence d’un jeune garçon. Interview publiée dans le numéro de juillet de Jeanne Magazine.
Vous avez cofondé l’ONG GiveLove, en 2010, suite au tremblement de terre survenu en Haïti. Quel en est son but ? Notre mission était de développer des bâtiments viables et de mettre au point des technologies sanitaires pour éviter que les épidémies ne se développent. C’est ainsi que nous avons commencé en rénovant les porte-conteneurs pour en faire des toits viables pour les sans-abris ainsi que des dortoirs. Nous avons, par ailleurs, aidé à collecter des fonds pour les autres ONG sur place qui faisaient un travail formidable avec les enfants, telles que Amurt Foundation. Cette ONG a pu créer une école pour les enfants dans un vaste camp à Delmas. C’est en allant sur place, dans ce camp, que nous avons vu le besoin de mettre en place des points sanitaires (toilettes et endroits pour se laver les mains) pour les enfants. Cela nous a amené à développer notre Green School Program.
Vous travaillez directement avec les Haïtiens afin de connaître leurs besoins précis. Quelle a été votre motivation pour créer GiveLove ? Pourquoi ne pas avoir plutôt donné de l’argent à d’autres ONG, déjà sur place ? Nous avons commencé par donner des fonds à d’autres ONG, mais lorsque nous nous sommes rendus en Haïti, nous avons vu qu’il y avait énormément de choses à faire en matière d’installations sanitaires écologiques. Nous nous sommes donc approchés d’autres groupes afin de travailler ensemble, mais ils souhaitaient faire les choses à leur manière, et nous souhaitions plutôt tester l’approche de Joe Jenkins, plus écologique. Avec l’appui des meilleurs experts dans le domaine, nous avons décidé de mettre en place nos propres programmes. La demande pour des toilettes sèches était très forte car de nombreux architectes étaient en train de mettre en place des projets de reconstruction : les programmes que nous avons mis en place étaient donc très utiles à toutes ces personnes dans leurs plans de reconstructions.
En effet, GiveLove a trois axes majeurs : installations sanitaires, création d’orphelinat et logement pour les sans-abri. Comment avez-vous articulé ces trois projets ? Nous avons rencontré des organisations qui faisaient un boulot formidable durant nos premières semaines en Haïti. Nous avons tissé des relations avec de nombreux partenaires qui ont permis de mettre sur pied nos premiers projets. Cependant, notre principale préoccupation était toujours de mettre en place des sanitaires écologiques, car le besoin était immense. Après le tremblement de terre, plus de 8 000 personnes sont mortes à cause d’une épidémie de choléra. Par ailleurs, construire quoi que ce soit en Haïti est extrêmement difficile à cause des problèmes de droits de propriété mais également à cause des coûts très élevés de matériels de construction. Nous nous sommes donc alliés avec d’autres organisations telles que Saint Damien Hospital et Father Rick Frechette. Nous avons fait don de nos porte-conteneurs rénovés à Saint Damien pour qu’ils puissent l’utiliser en salle de classe mais également pour accueillir des orphelins et des jeunes adolescentes.
Quels sont les projets actuellement en cours et comment peut-on vous aider ? GiveLove a lancé avec succès le plus grand programme d’installation de sanitaire écolo jamais tenté à Léogâne (une commune d’Haïti) en partenariat avec Habitat for Humanity. Plus de 260 familles utilisent désormais ce procédé écologique de toilette-compost, tandis que le compost est, lui, géré localement par une équipe dédiée. Ce projet est en place depuis 20 mois maintenant. Nous avons beaucoup appris depuis ces 4 ou 5 dernières années en Haïti, et beaucoup d’organisations nous demandent de l’aide pour toute la partie technique. Notre objectif pour 2014 et 2015 est de mettre en place une équipe de formateurs en matière d’installations sanitaires écolo. Nous allons également mettre en place des projets similaires en Inde, au Nicaragua, Pérou et en Uganda. Pour aider GiveLove, il est possible de faire de petites donations via notre site internet pour couvrir le coût des programmes et des voyages. Nous sommes également en train de créer un programme de formation en ligne avec de nombreuses vidéos et d’astuces pratiques pour que les gens puissent mettre en place leurs propres projets en la matière.
Pouvez-vous nous parler du développement de GiveLove dans d’autres parties du globe ? Nous voyons plus GiveLove devenir un programme de formation pour les ONG internationales plutôt que de mettre en place nous-mêmes des projets comme celui en Haïti. Cela nous reviendrait très cher, tout comme de créer des sièges sociaux dans d’autres pays. Avec la mise en place de notre programme de formation, cela permettra à des ONG de développer leurs propres projets. C’est la meilleure manière pour que GiveLove existe sur le long terme. En emmenant avec nous durant nos voyages, Jean Lucho, notre directeur des opérations à Haïti, et Alisa Keesey, notre coordinatrice de projets, nous aurons beaucoup plus d’impact qu’autrement.
Vous avez grandi dans une famille plutôt activiste. Est-ce que cela a développé votre engagement humanitaire ? C’est certain ! Ma mère et mon père ont été des militants toute leur vie. Ils ont marché derrière Martin Luther King pour une égalité des droits civils entre blancs et noirs. Lorsque j’étais petite, nous campions devant le Diablo Canyon Nuclear Power pour protester car ce centre nucléaire était construit sur l’une des plus grandes failles sismiques de Californie. Et d’ailleurs nous sommes tous très militants dans la famille, c’est ainsi que nous avons été éduqué.
Est-ce que votre engagement auprès de GiveLove a changé votre vie quotidienne à Los Angeles ? Lorsque je suis rentrée de quelques temps passé en Haïti, j’ai eu beaucoup de mal à m’acclimater de nouveau à la vie de Los Angeles. Cela m’a pris quelques semaines pour retrouver un équilibre entre les deux.
Vous décririez-vous principalement comme une actrice ou bien comme une philanthrope ? Une actrice. Et un être humain. En fait, je n’aime pas trop le terme de philanthrope. Pour moi, ce terme évoque une personne plutôt aisée qui aide les autres, moins aisées. Ce que je ressens et surtout, ce que j’espère être, c’est un être humain capable de partager des choses qui ont un sens avec son prochain. Il n’y a pas de hiérarchie dans cet échange, chacun apporte à l’autre selon ses connaissances et ses capacités.
En 2012, vous avez écrit sur twitter que les homosexuels américains devraient recevoir une remise de 50% pour leurs impôts jusqu’à ce qu’ils aient le droit de se marier. Est-ce que l’égalité des droits entre homos et hétéros est une chose qui vous tient à cœur ? Oui ! Les injustices qui ont été perpétrées contre les gays depuis toujours sont inexcusables. Je pensais même ne jamais voir de mon vivant le mariage entre personnes de même sexe devenir légal aux Etats-Unis. Et je suis vraiment heureuse que les choses avancent bien, que ce jour se soit réalisé. Mais, soyons honnête, il y a encore un long chemin à parcourir pour que l’égalité des droits soit observée partout dans le monde…
Justement, en France, cela fait un an que le mariage pour tous est légal, mais la procréation médicalement assistée reste interdite pour les couples de lesbiennes. Quel est votre avis sur le sujet ? Je ne vois pas pourquoi, encore une fois, ces techniques médicales devraient être légales pour les hétéro uniquement et pas pour les homo. Je suppose que les débats en France tournent autour du fait que deux femmes élevant un enfant pourraient avoir un impact négatif sur la société ou sur l’enfant même. Mais je suis certaine du contraire. En fait, je connais de nombreuses mères lesbiennes dans mon entourage, et pères homos aussi d’ailleurs, et ils sont absolument merveilleux en tant que parents ! Il y a de nombreuses familles hétéro qui ne sont pas dans ce cas-là, je parle d’abus ou de mauvais traitements. Les gens devraient plutôt utiliser leur énergie à régler ces problèmes !
Parlons de votre dernier film, Boyhood. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez été approchée pour jouer Olivia, la mère du petit Mason, sur une période de 12 ans de tournage ? J’ai été très excitée de faire partie de ce projet fabuleux ! Je savais dès le début que ce serait une expérience particulière et magique à la fois, et elle l’a été.
Comment se sont passées les retrouvailles sur le plateau de tournage année après année ? La vie des uns et des autres devait avoir évolué en un an de temps … Les enfants changeaient radicalement en un an ! C’était vraiment magnifique de les voir grandir et s’épanouir au fil du temps. Ils sont devenus des adultes aujourd’hui. Ils sont très créatifs et de très belles personnes. Je me demande simplement comment cela va se passer cette année pour eux, car le film est très médiatisé et c’est leur première expérience dans le domaine. Etre acteur peut être un chemin très bizarre et changer votre vie pour toujours.
Vous êtes également en train de tourner la nouvelle série dérivée des Experts (CSI : Cyber), comment cela se passe-t-il ? Pouvez-vous nous parler de votre personnage, Avery Ryan ? Elle est bien plus sûre d’elle que je ne le suis dans la vie. Concernant l’informatique, je ne suis pas vraiment à la page. Je ne ressemble en rien à une pro de l’internet. Je sais à peine me servir d’internet pour consulter mes emails [Rires]. Cependant, je pense qu’en matière de criminalité, beaucoup de choses se passent en ligne et en cela, la série permettra de mettre en lumière ce qui se passe réellement dans le monde à ce niveau-là, car il faut en avoir conscience. Le personnage que j’interprète est inspiré d’une cyber criminologue, Mary Aiken, que j’ai eu la chance de rencontrer pendant le tournage. Elle est à la fois très intelligente et très drôle. Par ailleurs, je me sens très fière de faire partie de l’équipe des Experts (aux côtés de William Petersen, David Caruso et Gary Sinise), c’est une opportunité pour laquelle je suis très reconnaissante.
Il s’agit de la seconde fois que vous interprétez un personnage existant dans une série. Pour Medium, vous jouiez Allison DuBois. Est-ce un exercice que vous appréciez particulièrement ? Dans les deux cas, il est à noter que les personnages interprétés sont inspirés de ces deux femmes, mais pas à proprement parler modelés sur elles. Les personnages sont la création des scénaristes : en effet Allison DuBois et Mary Aiken sont des spécialistes dans leur domaine, mais le format imposé par une série télévisée ne permet pas simplement de se calquer sur la vie de ces femmes. Il ne s’agit donc pas de biopic.
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Boyhood de Richar Linklater, disponible en dvd/vod