Le festival Chéries-Chéris est de retour aujourd’hui et jusqu’au 6 juillet, avec plus de 60 longs-métrages et 80 courts-métrages traitant de thématiques LGBTQ+. Une 26ᵉ édition qui fait la part belle aux films lesbiens, avec notamment la projection en ouverture d’Ammonite de Francis Lee, l’histoire d’amour émouvante entre Mary Anning (Kate Winslet), paléontologue renommée qui vit modestement sur la côte sud et sauvage de l’Angleterre, et Charlotte Murchison (Saoirse Ronan) envoyée en convalescence au bord de la mer.
Ammonite sera également projeté le 3 juillet lors de cette 26e édition, au cours de laquelle vous découvrirez également Le Milieu de l’horizon de Delphine Lehericey, Comets de Tamar Shavgulidze, Las mil y una de Clarisa Navas, Vendra la muerte y tendra tus ojos de José Luis Torres Leiv, Pyrale de Roxanne Gaucherand, Emilia de César Sodero, Les sentiers de l’oubli de Nicol Ruiz Benavides, Kokoon de Leonie Krippendorff et Kiss me before it blows up de Shirel Peleg.
Date par date, Jeanne fait le point sur les projections à ne pas manquer dans le numéro 87 ! Retrouvez toutes les infos et le programme complet sur cheries-cheris.com/festival
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Ammonite, la passion silencieuse
Retrouvez ci-dessous l’article consacré au film de Francis Lee publié dans le numéro 82 de Jeanne Magazine.
Mary Anning, paléontologue invisibilisée
On est en 1840, dans la ville côtière de Lyme, au sud de l’Angleterre. Connue pour l’abondance de ses fossiles sur ses falaises et ses plages, la ville est aussi celle qui a vu naître la paléontologue Mary Anning, qui s’occupe de déterrer des ammonites pour les revendre aux riches touristes. Un jour, un certain Mr. Murchison franchit la porte de sa boutique avec sa femme, la jeune Charlotte. Lorsqu’il s’en va à Londres et demande à Mary de prendre soin de Charlotte tombée en dépression suite à la perte de son enfant, les deux femmes se rapprochent jusqu’à tomber follement amoureuses l’une de l’autre.
Dans Ammonite, Francis Lee a choisi de redonner vie à une personnalité qui a réellement existé. Mary Anning était une paléontologue de renom qui, à seulement douze ans, avait déjà découvert le premier squelette entier d’un ichtyosaure. Largement invisibilisée et très peu créditée pour ses découvertes majeures, elle est brillamment remise sur le devant de la scène par le réalisateur, qui prend la liberté d’imaginer sa vie privée. En effet, Mary Anning ne s’est jamais mariée, n’a jamais eu d’enfant et on ne lui connaît pas de love interest féminin ou masculin.
Francis Lee, à qui l’on doit God’s Own Country, livre ici une histoire plus personnelle qu’il n’y paraît. Le cinéaste, ouvertement gay, a grandi dans la campagne anglaise où il vit toujours, n’avait pas les moyens d’apprendre la réalisation dans une école et a fait ses armes tout seul en passant par la case acteur. Mary Anning était pauvre, sans éducation, vivait avec sa mère, a perdu tous ses frères et sœurs et sa carrière n’a dépendu que d’elle-même. Sa différence de classe sociale avec Charlotte est flagrante et Mary ne semble être à l’aise que lorsque ses mains sont noires d’avoir trop travaillé ses fossiles ou qu’elle déambule sur la plage à la recherche de ses nouveaux trésors.
Des silences qui en disent long
Ce qui frappe d’abord dans Ammonite, ce sont ces longs silences qui rythment chaque scène. Pas besoin de multiples lignes de dialogue, le silence dit tout. Il dit la relation pesante entre Mary et sa mère, l’incapacité de Mary à s’ouvrir au monde, les fantômes des enfants perdus, l’amour naissant entre Mary et Charlotte… L’écriture du personnage de Mary est tout en nuance et en retenue. Ses émotions passent par son corps à la fois crispé, distant et imposant. Ce sont les personnages qui l’entourent qui viennent également compléter le puzzle complexe de sa personnalité : Elizabeth (la brillante Fiona Shaw) que l’on devine être son ancienne maîtresse, sa mère Molly (Gemma Jones) et le docteur Lieberson (Alec Seareanu) qui se fait gentiment éconduire après lui avoir fait la cour.
Mary réussit à se libérer seulement lorsque Charlotte et elle font l’amour, se laissant aller un court instant à sa passion et goûtant enfin à cette liberté qu’elle s’est interdite pendant des années. Kate Winslet, plus formidable que jamais dans ce rôle, et Saoirse Ronan, tout aussi convaincante, ont d’ailleurs eu le loisir de chorégraphier les scènes intimes entre les deux amantes. Le résultat est une mise en scène qui n’est jamais voyeuriste et qui reste toujours centrée sur le ressenti des personnages. De plus, leur relation n’est jamais cachée. Il y a des regards qui ne trompent pas, des baisers dans l’eau glacée, des retrouvailles amoureuses sous les yeux incrédules de la gouvernante de Charlotte. Comme le disait justement Kate Winslet pour la chaîne NPR, « nous ne voulions pas montrer que ces deux personnages avaient une liaison secrète ou interdite. La façon dont l’histoire est racontée normalise et souligne cet amour entre deux femmes sans hésitation, dissimulation ou peur. »
Devant la caméra de Francis Lee, l’histoire d’amour entre Mary et Charlotte se veut poétique, réaliste et passionnée mais ne sombre jamais dans le trop plein de romantisme. Dans sa première partie, le film est même très hermétique et se montre à l’image de la vie taciturne et recluse que mènent la paléontologue et sa mère. La narration s’ouvre petit à petit et s’éclaircit à l’arrivée de Charlotte, qui impose sa légèreté, sa spontanéité et sa liberté. Alors nous, spectatrices, pouvons réaliser toute l’ampleur de cette passion et la laisser persister même après la fin du film, que Francis Lee a pris soin de laisser très ouverte.
Par Fanny Hubert
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