Dans la nuit de mercredi à jeudi, les sénateurs ont adopté le projet de loi de bioéthique en seconde lecture, mais sans l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux célibataires. «Un immense gâchis » pour la sénatrice du Val-de-Marne Laurence Cohen qui répond aux questions de Jeanne Magazine.
Le Sénat vient d’adopter le projet de loi bioéthique en rejetant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Comment qualifieriez-vous la teneur des débats qui ont eu lieu au Sénat et plus particulièrement ceux qui avaient pour objet l’article 1 ? Ce qui s’est passé au Sénat, avec cette 2ᵉ lecture, est un immense gâchis. Je suis en colère. Les débats, il y a un an, avaient été empreints de respect et de sérénité avec des positionnements parfois divergents mais argumentés. Cette fois-ci, on s’est retrouvé face à des postures politiciennes. J’ai eu l’impression d’avoir été prise au piège par une droite divisée, qui voulait faire arbitrer ses désaccords par la gauche et qui n’a pas été honnête dans la procédure législative. Mon groupe, comme l’ensemble de la gauche s’est donc abstenue sur cet article, car la droite, non seulement, avait limité le remboursement de la PMA aux causes d’infertilité, excluant donc de fait, les couples lesbiens, et en plus, avait supprimé l’accès pour les femmes seules. Sans ces deux mesures, l’accès de la PMA pour toutes et tous n’avait plus aucun sens, nous ne pouvions pas voter cet article !
Comment vivez-vous ce refus d’inclure l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires dans le projet de loi bioéthique ? Une partie de la droite sénatoriale est très conservatrice, avec la volonté de ne pas toucher à la soi-disant sacro-sainte famille, « 1 papa, 1 maman, 1 enfant ». Nous avons vécu deux jours de débats dominés par des propos réactionnaires, sans aucun fondement scientifique ou psychologique, avec à l’extérieur, des manifestants qui scandaient leur vision traditionaliste et idéalisée de la famille, prédisant l’effondrement de notre société avec ce projet de loi, tout comme ils l’avaient promis lors du mariage pour toutes et tous. J’ai reçu en tant que Sénatrice des centaines de mails, de courriers me demandant de ne pas « légaliser des orphelins de père » dès la naissance ! Être privé de la figure du Père est pour eux insupportable. Ces personnes refusent de voir que les enfants vivant dans des familles homoparentales sont parfaitement heureux et équilibrés ! Revendiquer la place du père, quand bien souvent, à la maison, la répartition des tâches est très inégale, et que l’éducation des enfants incombe quasi exclusivement à la mère sans jamais participer aux luttes féministes pour l’égalité ne peut qu’interroger et révolter sur ces tenants de l’ordre établi ! En résumé, c’est toujours triste, pour ne pas dire choquant de voir que des personnes sont prêtes à se mobiliser contre un nouveau droit permettant de mettre fin à une discrimination. Et puis, quelle hypocrisie quand on sait que les couples homosexuels ont le droit d’adopter depuis 2013. Je fais partie de celles et de ceux qui exigent depuis des années l’accès à la PMA pour les couples de femmes. Cela fait près de 10 ans que cette mesure d’égalité est promise et attendue. 10 années perdues pour de nombreux couples qui ont été contraints, quand ils le pouvaient financièrement, à se rendre à l’étranger pour mener à bien leur projet. Et on sait très bien que cette situation s’est encore aggravée avec la crise sanitaire que nous vivons depuis près d’un an, où les déplacements étaient interdits au printemps, et sont compliqués actuellement. S’opposer au vote de la droite qui instaurerait non seulement une discrimination sexiste, mais également une discrimination de classe est fondamentale.
Comment expliquer ce rejet par le Sénat alors que ce même article avait été adopté en première lecture il y a 1 an ? Le Sénat a été renouvelé en septembre 2020 donc cela a pu jouer, avec la présence d’une droite peut-être plus radicale. Et puis, la présidentielle a pesé sur les débats, le président du groupe LR étant très intéressé pour être candidat. En tout cas, cela ne donne pas une image positive du sénat qui apparaît, plus que jamais, rétrograde et coupé des évolutions de la société.
Pour faire face au désaccord entre l’Assemblée et le Sénat, une commission mixte paritaire va être formée pour trouver un compromis. Sans accord, le texte repassera en troisième lecture à l’Assemblée. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce processus et qu’en attendez-vous ? Oui, les divergences sont, à ce stade, trop importantes pour que la CMP aboutisse. Une troisième lecture aura donc lieu à l’Assemblée nationale, avant un retour au Sénat, puis une dernière lecture définitive avec son adoption par l’Assemblée. L’Assemblée va réécrire le texte, intégrant à la fois le remboursement par la sécurité sociale pour les couples de femmes ayant recours à la PMA et l’élargissement aux femmes seules. Au final, on aura une vraie avancée sociale, mais que de temps perdu ! J’ai interrogé le gouvernement sur le calendrier, car je sais que des femmes sont en attente de ce nouveau droit, et j’espère que les premières PMA « nouvelle formule » seront possibles d’ici la fin 2021. Je sais combien l’attente est grande.
Pensez-vous que le Sénat finira par inclure dans le projet de loi l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ? Honnêtement, je n’en sais rien à ce stade, car je ne peux pas parler pour la droite ! Pour terminer sur une note positive, porteuse d’espoir, ce qu’il faut retenir c’est que prochainement les couples de femmes et les femmes seules vont enfin pouvoir mener en France, leur projet parental. C’est la fin d’une discrimination, même s’il reste encore beaucoup de choses à faire, notamment la reconnaissance pleine et entière de ces familles, pour établir une filiation comme pour les couples hétérosexuels, pour ouvrir la PMA aux personnes trans, et pour en finir avec la lesbophobie et l’homophobie dont sont encore trop victimes les personnes LGBTQI+. Mais en attendant, les conservateurs de tous bords ont perdu la bataille ! La PMA pour toutes sera enfin adoptée en France avec ou sans le Sénat.
Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100 % lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100 % indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à acheter le magazine à l’unité, à commander votre exemplaire papier du premier hors-série ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !