« Le temps des discriminations en fonction de l’orientation sexuelle est révolu, s’est exclamé le député socialiste Pedro Delgado Alves. L’adoption par des couples de même sexe n’est pas contraire à l’intérêt suprême de l’enfant ». Promesse de campagne du Premier ministre socialiste, Antonio Costa, arrivé au pouvoir en novembre grâce à une alliance avec la gauche radicale, une loi autorisant l’adoption par les couples homosexuels, a été votée hier à la majorité absolue par le Parlement portugais. Un vote qui force la main au président Cavaco Silva, qui avait mis son veto au texte le 25 janvier dernier, mais qui sera désormais obligé de le promulguer.
Pour rappel, la loi autorisant le mariage entre homosexuels, votée en février 2010, excluait explicitement le droit à l’adoption pour les couples de même sexe.
Source : LeMonde
Photo Francisco Leong. AFP
L’occasion de relire la tribune ouverte d’Ana Aresta, membre de la direction d’ILGA Portugal, publiée dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine :
Adoption et accès à la PMA au Portugal. Ce qui est en train de changer, par Ana Aresta, membre de la direction d’ILGA Portugal
Par Sylviane Rebaud
D’abord, laissez-moi vous expliquer le contexte : le 4 octobre 2015, des élections législatives se sont tenues au Portugal. La coalition de droite menée par le Premier Ministre en place, Pedro Passos Coelho, a recueilli le plus de voix, mais pas la majorité parlementaire. Malgré cela, le Président de la République, Aníbal Cavaco Silva, a reconduit le gouvernement de droite sortant. Rien de bien nouveau politiquement, me direz-vous… Seulement voilà, quelques jours plus tard, il s’est passé quelque chose d’historique : les partis de gauche se sont réunis et ont essayé de parler le même langage. Ils se sont mis d’accord sur des points économiques et sociaux essentiels, ce qui a permis de déposer une motion de censure sur le programme du Premier Ministre et de faire tomber son gouvernement. Le Président s’est donc vu contraint de nommer un gouvernement mené par le parti socialiste et son chef, António Costa, soutenu au parlement par le Bloc de Gauche, le Parti Communiste et Les Verts.
Pendant la période de transition entre les élections elles-mêmes et la nomination du gouvernement de gauche, 50 jours qui ont paru interminables, le parlement a continué ses activités, présentant, discutant et votant sur des projets de loi. Parmi ceux-ci, deux concernaient directement les droits LGBT : le premier portait sur l’adoption par les couples de même sexe, et le second, sur l’accès à la PMA pour les femmes célibataires ainsi que pour les couples de femmes. La première loi est passée ; la deuxième… eh bien non. Toujours pas.
Bien sûr, nous nous sommes réjouis de la levée de l’interdiction d’adopter pour les couples de même sexe. Pour rappel, le Portugal a ouvert le mariage aux couples homosexuels en 2010 ; par ailleurs, tout individu a le droit de demander que son dossier soit examiné en vue d’adopter… Nous étions donc dans une situation ubuesque : les couples de même sexe étaient autorisés à se marier, mais pas à adopter ensemble en tant que couple. La loi qui vient d’être votée était donc très attendue, non seulement parce qu’il y avait des discriminations criantes au sein même de la loi du pays, mais aussi parce que de très nombreuses familles arc-en-ciel étaient dans l’attente d’une loi autorisant l’adoption des enfants par le deuxième parent. Jusqu’alors, même si deux personnes pouvaient bien sûr élever un enfant ensemble, seulement l’un des deux parents était reconnu par la loi : c’était soit le parent biologique, soit, dans le cas d’un enfant adopté, celui qui avait reçu l’agrément – en tant que personne seule, donc.
En novembre 2015, c’était la quatrième fois depuis 2012 que ce projet de loi était présenté au parlement portugais, et jusqu’ici il avait toujours été rejeté pour des raisons purement discriminatoires. Évidemment, ces décisions ont au fil du temps infligé de sérieuses souffrances aux enfants qui grandissaient dans des familles dont ils savaient qu’elles n’étaient pas reconnues par l’État, ce même l’État qui est pourtant censé les protéger. Ces dernières années, ILGA Portugal a constamment essayé d’alerter les partis politiques, les média et l’opinion publique sur les réels problèmes de ces familles bien réelles elles aussi – et pourtant, année après année, de plus en plus de familles venaient nous voir pour apporter leur témoignage de souffrance et de frustration sur la lenteur de leur reconnaissance légale.
Quels droits exactement sont accessibles aux couples homosexuels au Portugal aujourd’hui ? Deux choses nouvelles: ils peuvent maintenant déposer leur dossier d’adoption en tant que couple, et s’il est validé, les deux parents vont pouvoir être conjointement reconnus par la loi. Second cas de figure : si l’un des deux membres du couple a déjà un enfant, adoptif ou non, le deuxième parent va pouvoir obtenir un statut légal à travers un processus d’adoption, et toutes ces familles qui existent déjà de fait vont ainsi pouvoir être légalement reconnues. À partir de maintenant, aucune adoption ne peut donc être refusée par la loi sur la base de l’orientation sexuelle des futurs parents. Notre travail, celui d’ILGA mais aussi celui d’autres organisations non gouvernementales, celui du gouvernement et celui de chacun des citoyens de ce pays, est maintenant de s’assurer que la loi sera respectée. Il va falloir former des professionnels ouverts, qualifiés et compétents, et combattre la discrimination qui existe au sein de nos communautés aussi bien que de nos structures administratives.
Et il reste encore beaucoup à faire… nous ne devons pas minimiser le fait qu’il y a encore beaucoup de préjudice dans la tête de nos dirigeants. Laissez-moi vous donner un exemple tristement significatif : le rejet systématique d’autoriser l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules ou homosexuelles – ce qui donne à penser qu’une femme doit nécessairement être sous la supervision d’un homme pour pouvoir fonder une famille. C’est non seulement sexiste mais homophobe. De nombreuses femmes se voient donc contraintes d’aller à l’étranger pour bénéficier de ces techniques et elles reviennent au Portugal avec des enfants qui n’ont pas été conçus selon les lois de notre pays.
Et je sais que vos lectrices sont dans une situation similaire en France. Nous ne pouvons pas continuer à ne pas voir attribuer aux femmes leurs justes droits en ce qui concerne leurs choix reproductifs, leur sexualité, ou encore tout simplement leur autonomie. Nous ne pouvons pas tolérer que des discriminations subsistent au sein de lois qui pourtant régissent notre quotidien. Ce n’est pas une question de politique de gauche, de droite ou de centre. C’est une question de droits fondamentaux de l’individu.
Je vous garantis qu’au Portugal, nous ne nous arrêterons pas tant que toutes les discriminations basées sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’auront pas disparu. Et je vous demande de faire de même dans votre pays.