Le 6 septembre 2014, Vivian Boyack, 91 ans et Nonie Dubes, 90, se sont dit « oui » à Davenport dans l’Iowa, un état du Mid-Ouest des Etats-Unis, après 72 ans passés ensemble… Les deux femmes, qui viennent de fêter leurs noces de coton, se sont confiées au Guardian : « Tout se passe bien, car nous sommes ensemble depuis 73 ans. Nous ne pouvions simplement pas nous marier. Rien n’a vraiment changé, tout est pareil, c’est très bien » a expliqué Nonie, qui raconte qu’avec Vivian, elles passent leurs journées comme elles le faisaient avant leur mariage : elles s’occupent de leur appartement et se baladent en scooter électrique dans le village de retraités où elles habitent.
Lorsque nous avons publié l’annonce de leur mariage sur le site internet de Jeanne Magazine l’année dernière, vous avez été toutes très émues par leur histoire d’amour. Depuis, les deux femmes ont été submergées de messages de félicitations et de demandes d’interviews du monde entier. Vivian et Nonie ont décidé de raconter leur histoire dans les colonnes du journal local Le Des Moines Register.
Vivian et Nonie se sont rencontrées en 1942, une époque où il était difficile d’évoquer son homosexualité. Ainsi, pendant de très longues années, elles ont vécu selon l’adage « vivons heureuses, vivons cachées». Et ce n‘est que depuis l’annonce de leur mariage qu’elles osent enfin vivre leur amour au grand jour.
Les deux femmes sont toutes les deux issues du milieu agricole. Vivian était une jeune fille qui aimait passer du temps dans sa chambre, en jouant des heures à l’institutrice avec ses poupées, son rêve étant d’enseigner. Nonie, à l’inverse, aimait être dehors, aider à la ferme, jouer au basketball. C’était un véritable garçon manqué qui s’est même cassé une côte lors d’un match. Aucune des deux jeunes filles ne pensait à l’amour à cette époque. Mais un jour Nonie croisa Vivian et cette rencontre a tout changé. En 1942, elles fréquentaient la même université du nord de l’Iowa. Nonie se rappelle de ce fameux jour : « Je peux vous dire exactement ce que Vivian portait ce jour-là. Une robe grise aux ourlets de velours noir et des perles en guise de gros boutons ». Mais ce n’est pas à cette époque qu’elles se sont parlé pour la première fois…
Après l’université, lorsque Nonie est retournée à Yale, sa ville natale, pour y travailler, elle entendit parler d’un poste d’enseignante et « pria pour que Vivian vienne à Yale pour y postuler ». Par chance, Vivian apprit l’existence de ce poste d’enseignante et l’obtint. Elle rencontra Nonie, peu de temps après, qui l’invita au cinéma. Lorsque la journaliste leur en demande un peu plus sur ce qui s’est passé ensuite, les deux femmes, encore timides, marquent un temps d’arrêt, avant de révéler qu’il est encore difficile pour elles d’en parler, mais Nonie confie : « aucune de nous ne sait ce qu’il s’est vraiment passé. Nous ne savions même pas que c’était quelque chose de spécial. J’étais juste poussée vers elle. C’est tout ». Vivian ajoute alors : « la main de Dieu était là. Et soudainement, nous étions amoureuses l’une de l’autre. ». A partir de là, les deux femmes expliquent qu’elles ont dû se cacher. Elles ont donc déménagé dans un appartement et les gens pensaient simplement qu’elles étaient deux jeunes colocataires. Mais au fil du temps, leurs amis s’éloignèrent du couple car ils les suspectaient « de savoir ». Elles ont ensuite déménagé dans une autre ville car Vivian y avait trouvé un nouveau poste d’enseignante. Il leur fallait, là encore, être très discrètes, car comme Nonie le dit : « je suis certaine qu’autrement, j’aurais été licenciée ». Au fil des ans, elles ont appris à se connaître et à vivre ensemble. Nonie ne savait pas cuisiner et Vivian était incapable de tondre la pelouse. Elles se sont partagées ainsi les tâches ménagères et se sont construites une vie, même si le temps des vacances était toujours le moment de séparation, puisque chacune passait du temps dans sa famille respective.
Puis les années ont passé, Vivian et Nonie se sont fait construire une maison, elles ont voyagé à bord de leur Lincoln Town Car à travers les Etats-Unis et le Canada. Vivian était l’organisatrice de leurs voyages, elle planifiait les étapes impeccablement, tandis que Nonie, elle, se chargeait d’amener les éclats de rire.
Bien sûr, il y a eu des disputes au cours de leurs 72 ans de vie commune, mais elles ne duraient jamais très longtemps, « je suppose que c’est grâce à l’amour » confie Vivian.
Elles ont ensuite rejoint l’église paroissiale et ont chanté dans la chorale. Elles ont appris à connaître la famille de l’autre. Elles ont vieilli, ont été malades. Il y a 16 ans, Nonie a été si mal en point, qu’elle a passé trois mois à l’hôpital pour une infection au dos. Un moment très difficile pour le couple, mais Nonie s’en est sortie.
Après avoir traversé toutes ces étapes de la vie en cachant leur amour, elles avouent qu’à certains moments elles auraient aimé pouvoir vivre comme tous les couples « normaux ». Mais après avoir gardé le silence si longtemps sur leur amour, il leur semblait impossible de le rendre public même une fois le mariage pour tous devenu légal en Iowa en 2009.
Jusqu’au jour où Jerry Yeast, un ancien ami de l’université, leur rend visite. Lui, qui ne les voyait alors que comme deux amies vivant l’une avec l’autre, remarqua qu’il n’y avait qu’une chambre dans la maison, et un seul lit. Jerry considéra alors que de découvrir ainsi l’intimité du couple était un geste de la part de Vivian et Nonie, qui « ont partagé quelque chose avec lui ». Alors que Jerry était convaincu que le mariage était uniquement réservé à un homme et une femme : « ces deux femmes m’ont permis avec le temps de comprendre l’importance du mariage pour tous. Et je les remercie. ».
C’était la première fois que Vivian et Nonie parlait de leur relation avec quelqu’un : « J’étais stupéfait. Et puis je leur ai dit : Mais on est en Iowa ! Vous devriez vous marier ! ».
Les deux femmes n’ont pourtant pas eu l’envie de se marier tout de suite. Puis un jour, elles ont compris que cela était dû au fait qu’elles avaient été silencieuses pendant si longtemps. Jerry, quant à lui, était convaincu que « leur mariage serait une source d’inspiration pour tout le monde ».
Ainsi, le 6 septembre dernier, leur mariage fut célébré dans cette église qu’elles fréquentaient depuis si longtemps, par La révérend Linda Hunsaker. Pour la femme d’église, c’était une première : « Vivian et Nonie font partie de l’église depuis 1947. Nous les voyons depuis longtemps comme un couple. Personne ne leur a pourtant jamais demandé si c’était le cas, mais personne ne pouvait l’ignorer. Lorsque vous ne connaissez pas la personne, il est facile de faire des déclarations sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Mais lorsque vous connaissez cette personne, que vous la côtoyez au quotidien, que c’est ce que Dieu souhaite, alors vous voulez le meilleur pour elle. ».
Nonie avoue « avoir tremblé comme une feuille » quelques minutes avant la cérémonie, alors que les deux jeunes mariées prenaient place dans leur chaise roulante : « J’étais face à toutes ces personnes. J’ai trouvé cela merveilleux. Je ne me suis jamais sentie aussi bien devant autant de monde. »
La révérend Hunsaker ne reçut qu’un commentaire négatif parmi des douzaines d’autres positifs dans les jours qui suivirent. Quant à Jerry, il prit conscience du changement qui s’opéra entre les deux femmes les jours d’après : « J’ai commencé à les entendre s’appeler par des petits noms affectueux, chose qu’elles n’avaient jamais fait en public. Elles avaient appris à vivre cachées, et désormais elles pourront vivre leur amour aux yeux de tous ».
Le 24 juillet 2016, à 93 ans Vivian Boyack s’est éteinte aux côtés de son épouse.